Damned, Mendelson arrête! Il était temps et comme il le dit élégamment sur l’amorce de ce splendide effort (Le dernier album…bordel, qu’est-ce qu’on va devenir?), où il se fout bien de nous en alignant en tout et pour tout…cinq titres…merveilleux: « De toute façon il n’y aura plus personne pour écouter les disques ». Surtout les siens, sinueux, tortueux, torturés, lettrés, d’une acuité qui doit, en effet, sacrément foutre la trouille. Au point de ne pas les écouter, trop soucieux de fuir la lucidité d’un Mendelson au parlé-chanté qui, depuis plusieurs décennies, captive ceux qui l’auront découvert sur Skyrock, au terme d’une fiévreuse quête de différence. A moins que ce ne soit chez Lithium, à l’occasion d’un salon du stylistiquement prévisible. Passé cette médiocre blague « à l’inverse », il nous reste Le dernier album. Ultime jet de singularité, Mendelsonien avant tout. Une pépite que Le dernier disque inaugure, annonçant la fin de carrière du sieur Bouaziz au son d’effluves jazzy orageuses et majestueuses.
Mendelson ne chantera plus jamais, alors immergeons-nous d’autant plus intensément dans ce disque qu’ Algérie, de ses quasi vingt minutes en hommage à un pays que l’artiste chérit au point de lui laisser là, tendu, sensible, angoissant, perçant, lancinant, une missive de toute beauté, vient magnifier. Emotionellement extrême -je vous défie, en l’occurrence, d’en ressortir « intact »-, éparsement zébré par des guitares toutes en nerfs, Algérie s’ajoute à la liste des morceaux fleuves dont Bouaziz a le secret, bien planqué dans le puits insondable de ses idées porteuses. Des brèches sonores tempétueuses viennent lacérer son émouvante diction, d’un impact décuplé. C’est Mendelson, ça sonne comme personne et ça va s’arrêter…en « si bon chemin », celui d’une non-reconnaissance qui n’a d’égale que sa récurrente excellence.
On s’incline: Mendelson atteint le paroxysme d’un talent qui, de Bruit Noir en Haïkus en passant par une magistrale relecture du regretté Joseph Ponthus, jusqu’à ce septième opus sous étendard Mendelson, n’aura cesser de nous honorer, de nous évoquer. De surligner, par le verbe, nos existences. Nous les gens vrais, normaux mais pas normés, voués au labeur, à la lutte qui parfois nous réserve des joies. Quand le quotidien dissone, il nous reste Mendelson. Et Les chanteurs, troisième plage délicate, constat d’un échec qui pour nous autres résonne comme une victoire ou tout au moins, comme un vecteur de résilience. Aux maîtres-chanteurs, opposons Les chanteurs. Même si L’héritage, de son rock à nouveau bruitiste, élevé dans le mot, d’un lucide et d’une beauté à couper le souffle, se veut « réduit ». Réduit au point, puisqu’il est notre, de n’en être que plus précieux encore. Comme Le dernier album, magique et poignant, de ce Mendelson dont le pouvoir d’évocation, la portée des mots et le choc des sons m’ont définitivement conquis depuis ce disque éponyme de haute, si haute volée sorti en 2013.
S’ensuivit Sciences Politiques, en 2017. Engagé, contestataire. Précieux. Mais la dernière chanson (diantre, ça fiche un coup!), où Bouaziz cite ses compagnons de route -nombreux, qui en douterait?-, narre avec sincérité et d’une manière qui suscite l’émoi, se présente. C’est la fin. Toute une vie défile, dépeinte avec classe et distinction, à la Mendelson. Comme personne d’autre donc, tant sa discographie se veut unique et décalée. Le dernier album, sur ce Salut à des gens d’importance, à des publics venus en nombre…réduit, en final sombrement étincelant, est un trésor sonore et littéraire. Salut Pascal, on peine à y croire, à vrai dire je m’y refuse et secrètement, nous espérons tous autant que nous sommes, bien peu donc et pourtant si nombreux, te voir resurgir pour nous gratifier, derechef et comme un chef, d’un ouvrage aussi humain et passionnant que Le dernier album que tu nous lègues ici. Superbe fin de course, ce dernier met du baume, chahute nos sens, se fait sonique et pertinent dans son impertinence. Disponible dans une Box à la hauteur de sa splendeur, pour les plus gourmands, il flamboie de désillusion et ravive les illusions, à l’instar de toute oeuvre estampillée Mendelson.