Le producteur et musicien Radwan Ghazi Moumneh, Libanais-Canadien, et la « filmmaker » Erin Weisgerber constituent le duo Jerusalem In My Heart, projet à part qui mêle électronique borderline, élans de bouzouki génialement déroutants, arabe autant parlé que chanté. Le tout, ici et sur ce nouvel opus, de manière extrêmement collaborative puisqu’à chaque morceau livré, ou presque, correspond un « guest ». Exigeant, d’une chaotique beauté qui peut sévèrement captiver, ou faire fuir si l’on manque d’ouverture, Qalaq ne nous laisse guère le choix. Il nous emmène. Ailleurs, dans des contrées où l’inquiétude -s’agissant notamment du Liban, dont vient Radwan-, sert de socle à des compositions dont il est nécessaire, voire obligatoire, de s’imprégner pour pouvoir en faire gicler toute la substance. Abyad Barraq (w/Greg Fox) initie le trip, en terrain miné donc, dans une cascade de sons électro, de percussions qu’on chant incanté vient surligner. C’est d’emblée prenant, déracinant. Un break survient, il brise le tumulte. On le pressent, c’est audible et évident; Qalaq ne se range pas côté norme, il s’inscrit dans le contre-courant et ravira l’auditeur sans chaines. Sa’at (w/Alexei Perry Cox), obscur, avec ses voix chuchotées, nous replonge dans des ténèbres étrangement attirants. On en reste captif, des bruits sans joie surgissent des recoins. Istashraqtaq (w/Beirut), dans une trame folk orientalisante, sème de la beauté. Dans le gris, on fait dans le beau, donc, en usant d’une approche maison.
Quelques sensations plus loin Tanto (w/Lucrecia Dalt), lancinant, dissone et mêle les voix. Il enferme, lui aussi, dans le sens où ne peut s’arracher à son écoute. Là où certains engendrent l’absence de ressenti, Jerusalem In My Heart, lui, les exacerbe. ‘Ana Lisan Wahad (w/Farida Amadou & Pierre-Guy Blanchard), au gré de secousses électro-dark ornées avec panache, se donne des airs d’orchestre sombre. Magnétiquement dérangeant, il précède la série des Qalaq, qui s’étend de 1 à 9. J’en aborde l’amorce avec curiosité et délectation, ne sachant pas à l’avance ce qui va en émerger. Qalaq 1 (w/Alanis Obomsawin & Diana Combo), sur lequel le chant fait merveille, revêt une parure trouble. Qalaq 2 (w/Roger Tellier-Craig) se laisse balafrer, par des motifs acides au bord de l’indus. Suit Qalaq 3 (w/Moor Mother), où l’invitée pose son timbre narratif. Bref mais en vue, il laisse libre voie à Qalaq 4 (w/Rabih Beaini), sur 3 minutes de bouzouki merveilleux, comme de coutume chez Jerusalem In My Heart. Le chant, comme priant, l’épaule. La magie est totale, on est avalé par le pouvoir émotionnel, l’impact sonore durable de Qalaq.
Qalaq 5 (w/Oiseaux-Tempête, bien connu dans nos milieux), bruisse dans l’élégance. Du tourment de nos vies, ce disque est la parfaite B.O. Il en ressort, précieuse, vitale, une lueur d’espoir que sa qualité entretient. Qalaq 6 (w/VIZ [Réka Csiszér]) vente, sa voix est gracieuse. Elle sertit le tableau, inquiétant, qui s’ombrage au fur et à mesure de sa progression tout en mariant l’avenant et le souillé lorsqu’arrive Qalaq 7 (w/Tim Hecker). Qalaq s’écoute sans en omettre le moindre morceau, chacun participant d’une unité aux contours dont la lumière ne s’échappe que par faibles lueurs. Une réussite, complète, achevée par Qalaq 9 (w/Mayss, Mazen Kerbaj, Sharif Sehnaoui & Raed Yassin). De motifs hagards et perturbés en organes épars, c’est la dernière salve d’un album qu’on se doit d’aller chercher, riche, dense et sans contraintes. Un rondelle captivante, saisissante, à mille lieues de ce qui a habituellement lieu dans la caste des radio-friendly à l’ennui terni. L’illustration aussi, singulière, du poids des événements et de la conjoncture actuelle et passée sur le bien-être de ses concepteurs, auteurs pour le coup d’un ouvrage passionnant.