Ja ja ja ja! Sehr gut! Un double LP et simple CD mettant en lumière l’explosion de la richesse musicale issue des squats et dortoirs des écoles d’art de Cologne, Düsseldorf, Hambourg et Berlin-Ouest, à la suite du punk de Der Plan, Holger Hiller, Palais Schaumberg ou encore Conrad Schnitzler! Le son de la jeunesse musicale allemande, déchaînée, sur des synthés bon marché et guitares tout aussi cheap. Le disque-témoin d’une scène disparate qui a redéfini la musique allemande dans la première moitié des années 80. Voilà ce qu’offre Eins und Zwei und Drei und Vier – Deutsche Experimentelle Pop-Musik 1980-86, le long de vingt titres dont aucun n’échappera à l’épreuve de la lecture obsédée. Une compilation qui va de la cold-wave à sa version new en passant par le reggae déglingué (le Dunkelziffer de Keine Python), après moults détours par la case créativité débordante.
C’est The Plan, auteur d’un Hey baby hop vocalement guttural, aux voix mêlées, qui fait le cinglé le premier. Ses claviers sont joueurs, l’accroche déjà imparable. Die Partei, à l’aide d’ Austauschprogramm, marie ensuite sons guillerets et prétentions cold. D’un genre « no genre », il se distingue et donne un aperçu génial du recueil instauré par l’indispensable label Bureau B. P!OFF? – Mein Walkman ist kaputt vient ensuite funker sur des beats 80’s, l’usage de l’Allemand caractérisant une série qui aujourd’hui encore damerait le pion à n’importe quelle parution un tant soit peu décalée.
Die Fische (crédit privé)
Palais Schaumburg, de secousses dub en bruits dérangés, puis Dunkelziffer, dans une sorte de reggae-dub pas plus rangé, dévient à leur tour. Il y a dans ces créations, et par extension dans la scène allemande de l’époque, une propension à innover qui se traduit par des travaux de choix. Populäre Mechanik – Muster se base, comme la plupart des titres, sur des sonorités qui groovent et prennent la tangente. Andreas Dorau (Die Doraus & Die Marinas) – Sandkorn se fait presque « forain », dans ses airs rétro. A sa suite Pyrolator , avec Im Zoo, couple sons joyeux et brusques lézardes acides. Träneninvasion joue, après ça, un Sentimental aux boucles obsédantes. Il en émane des airs, réjouissants, de KaS Product. A la moitié des méfaits, Deutsche Wertarbeit propose un Guten Abend, Leute dans le ciel, aux voix robotisées. C’est sur vingt perles, ne l’oublions pas, que se décline le brio sonore teuton. Sur l’amorce du second volet, un tonitruant Höhepunkt kleiner Mann, signé Asmus Tietchens, confronte guitares bourrues et synthés en nappes alertes. Que du bon ici, comme pour toute sortie estampillée Bureau B. Die Fische et son So verrückt façonnent une new-wave à la dégaine no-wave, Conrad Schnitzler balourde ce Auf dem schwarzen Kanal truffé de claviers à la B 52’s. Côté chant, on est à nouveau dans l’Allemand qui vient typer le tout.
Der Plan (crédit Aka Tak)
On poursuit donc, allègrement, l’écoute d’un sacrée enfilade de morceaux early et mid 80’s sans barrières réductrices. Die Farbe war Mord, de Carambolage, s’envole, rue sans violence et offre des chants féminins sucrés un brin riot, finalement délirants. Xao Seffcheque – Sample & Hold (Wer bitter im Munde hat, kann nicht süßpricken) est vif, fou, cold et indus, doté d’un chant taré. On aime, au delà du raisonnable. Foyer des Arts nous sert Eine Königin mit Rädern untendran (Gerd Bluhm Remix), new-wave dirait-on, mais inclassable. Une fois de plus, on adhère et ça sera le cas jusqu’à la der. De partout surgissent des sons prenants, Die Zimmermänner – Erwin, das tanzende Messer slappe ses basses et vire presque fusion. Voilà le type de compil’ qu’on se doit de posséder quand, comme moi, on affectionne les créneaux musicaux en marge. Östro 430, sur Sexueller Notstand, recourt à un saxo suave, à une voix derechef frappée. Derrière, des notes sereines se glissent. Die Radierer – Angriff aufs Schlaraffenland amorce la fin des festivités, ou presque, en sautillant sur fond de bruits souillés. Eins und Zwei und Drei und Vier; la différence est faite. A partir de trois fois rien, les intervenants suscitent l’allégresse au son de compositions éloignées du convenu. On en vient alors à la dernière de la vingtaine rassemblée, nommée Jonny (Du Lump) et délivrée par Holger Hiller.
Populaere Mechanik (crédit privé)
C’est de manière mélodiquement déglinguée, cadencée, que Eins und Zwei und Drei und Vier – Deutsche Experimentelle Pop-Musik 1980-86 trouve son terme. Bureau B nous est précieux, ses parutions et sa « zik de squats » ici recensée feront le bonheur de ceux qui se tiennent prêts, l’esprit large, à emprunter des chemins de traverse. On citera aussi Tapete Records, dans une approche comparable, d’ailleurs en phase directe avec le label d’Hambourg. Une visite à leur catalogue, à l’image de l’audition de Eins und Zwei und Drei und Vier – Deutsche Experimentelle Pop-Musik 1980-86, s’avèrera forcément jouissivement chronophage et porteuse en termes de sensations sonores définitives.