En 2010, au Bataclan, Marc Nammour et Loïc Lantoine unissent leurs mots le temps d’un concert en soutien au journal L’Humanité. L’expérience est telle qu’ils se font la promesse, matérialisée par ce disque à l’adresse des gens que sciemment, on laisse dans la marge, dans l’oubli, de creuser plus en avant leur oeuvre commune. Fiers et tremblants, dotés d’habiles plumes à la lucidité salvatrice, ils dégainent face à l’injuste et servent la cause de ceux qui peinent. Ceux qui doutent (un excellentissime…Les gens qui doutent, justement, où Lantoine assure une intro délirante), qui labeurent mais récoltent peu de beurre. Le gang de La Canaille, encanaillé, vient tenailler le discours. Le titre éponyme, atmosphérique, soulève des questions. Sans trouver de réponses, ou si peu. C’est l’écrin, parfait, des laissés pour compte. Le texte est prétexte, le mot allège les maux. Ces deux-là sont dans leur élément, leur alliage sonne juste et vrai. Il ne pouvait en être autrement. Mélopée, plus vicié, se syncope, ondule, évoque les rêves dont on crève. Les timbres se complètent, poésie en rempart devant la galère. Symbiose, colère adroitement mise en lettres. Les fauves livre de jolies notes, sobres, comme à l’habitude, mais marquantes. « Parlons bien, parlons fort, parlons court ». La rime serpente, remonte la pente, raide, savonneuse. Effluves blues-jazz, magnificence et musicalité…à moins que ce ne soit musique alitée, au vu de ce monde malade.
Mais c’est mort, Hector, on ne se laisse pas abattre. Aux salopards, on répond par le son. Par la syllabe, empilée comme à la parade. Le visage du clan, ode à l’unité, fait front. Bravement. Fièrement, sans trop trembler…quoique. Marc et Loïc, ça sonne comme une paire de vieux amis, rodés à la même existence, voués à des causes similaires. Les gens qui doutent, mentionné plus haut, assure la continuité dans la qualité. Fantaisie, sombre, acide, se décline en hymne à la vie. Celle qu’on appelle, à laquelle on aspire en dépit des écueils. « Faut apprendre à compter sur la tête à Toto y’a Public Enemy qui joue Tata Yoyo ». Enorme. « Fantaisie, besoin de fantaisie ». « Révolution, rigolation!! ». Le final se fait dark, ici le verbe est aiguisé et trouve ses lettres de noblesse. Tension, désir d’exister. Supernova, climatique, céleste et sous-tendu, chante la désillusion. Il la magnifie. Réaliste, donc sans oeillères. Clairvoyant, un brin psyché dans ses tonalités. Une pépite de plus, ardente, bridée pour le coup, marquée par les coups. Gloire aux perdants, jusqu’à l’obsession. Nouvelle salve lettrée, inspirée, d’un duo à la grammaire en verve. Dernier vers, sur boucles spatiales. Voilà un disque à l’exact opposé de la médiocrité, servi par deux hommes de talent qu’épaule une clique sans failles.
On approuve, ça va sans dire. Sans conditions. Le ton est juste, la diction synonyme d’addiction. Dans sa magnifique pochette, dans ses airs exempts de fausseté, Fiers et tremblants dégage l’horizon de celles et ceux que l’on traite comme des gueux. Accompli verbalement, c’est le moins qu’on puisse dire, divers dans ses ambiances, musicalement brillant, c’est un manifeste. Puissent Nammour et Lantoine, dans leur union hautement pertinente, s’inscrire dans le temps et perdurer dans leurs oeuvres discographiques émaillées de lives impactants. La première, Fière et tremblante, consacre en tout cas un parcours frappé du sceau de l’acuité. Elle marie les genres, renvoie du style, s’abreuve à la source d’esprits fertiles et complémentaires. Le résultat, de valeur optimale, réveille l’espoir et étouffe l’oppression. C’est déjà beaucoup: c’est même conséquent, en cette époque où tout concourt à faire plier « ceux qui ne sont rien ». Ici ils sont: ils trouvent un second souffle, considération et compréhension. Fiers et tremblants est leur shoot d’espérance, traduit par une enfilade de titres de qualité constamment supérieure.