Fichtre! Quelle surprise, jazzy, funky, vocalement folle, swingante à souhait, que ce premier album de la frontwoman d’Oshwa, clan art-rock de Chicago! Un I Am Alicia délirant, bigarré, hauts en couleurs, qui ratisse large et refuse de se ranger, de faire dans l’attendu. Ca ne l’empêche pas de se feutrer parfois et brièvement (Who Am I, qui retombe après une envolée frappée…vers laquelle la dame se dirige à nouveau, illico, sitôt l’accalmie passée) mais globalement, Alicia affectionne les chemins détournés, les soudaines poussées de folie qui emmènent son opus vers les plus hautes marches. Cuivré, celui-ci change d’humeur, débute par un Prelude déjà énergique. De l’art-rock, Alicia a visiblement conservé le côté « errant », libre, qui caractérise son travail. Secousses dingues, sons de toutes sortes, genre au final sans nom réel, façonné par ses sons, la démarquent et lui donnent de la marque. On imagine sans forcer, sur scène, l’impact de ses créations. Pour l’heure, on a face à nous un disque qu’il importe de revisiter, exigeant car non conventionnel. House Of Yes groove; le chant, une fois de plus, fait un effet monstre. On parle, à l’encontre d’Alicia Walter, de jazz, de disco, de new-wave aussi. Aucun de ces styles n’est, ici, entièrement « intact ». Le brassage est de mise, savamment orchestré.
Suit Yourself, s’il s’amorce semble-t-il paisiblement, sur des tons jazz rétro, finit…par les adopter, définitivement. Privé de sa folie habituelle, en l’occurrence, I Am Alicia continue à séduire. Just A Little, au son d’une électro dark aux teintes disco-jazz (on y revient, tout de même, mais de manière hybride), poursuit sur la voie inspirée, large d’esprit, qui fait le charme de l’album. Des synthés new-wave y trouvent siège, des boucles obsédantes également. Il y a des airs d’Eurythmics dans ce morceau, mais il est clair qu’Alicia et consorts pétrissent leur propre pâte. Ca leur réussit: ça donne, au bout du compte, un rendu délibérément personnel. Après ça Standing At Your Doorstep, aux sons en spirales, funky et dansant à l’instar du reste, pourrait faire suer Prince. On navigue, avec plaisir, de surprise en surprise. On chaloupe, à l’écoute, au rythme des compositions de la ressortissante de chez Sooper Records. Les poussées de cuivres, dynamiques, augmentent le pouvoir d’accroche du tout.
I Feel You, pas moins convaincant, allie les voix et fait preuve d’une énergie déliée, qui se transmet à l’auditoire. Il jazze, loin d’être naze. L’ouvert d’esprit y trouvera bonheur et nouveauté. Le réfractaire, fermé, sans curiosité, passera à côté d’une découverte à prendre en compte. Talking To Myself, au débit de voix quasi hip-hop, me rallie définitivement à la cause d’une sacrée troussée, au groove permanent. J’ai bien fait de m’y pencher, d’insister dans l’écoute. A l’arrivée, on se cogne un disque qu’on a très vite envie de se remettre sur le Play de nos machines à lire le son. J’espère, naturellement méfiant, une fin du même tonneau. C’est alors que A Toast, alerte, gorgé de ces sons délectables sortis de nulle part, régale mon attente. Il s’affole, redescend, impose une approche qu’on ne peut précisément classifier ni qualifier. Mais dont, irrémédiablement, on approuve toutes les composantes. Sans hésitation, avec un plaisir accru par la sensation d’innovation ressentie.
A l’issue I Am, paisible, racé, finement joué, finit le job avec tenue. Alicia Walter, qui assure ici voix, piano, synthesizers, keyboards, drum programming, synthesizer bass, drums, celesta, tack Piano, acoustic guitar, optigan, marimba, bells et percussion (excusez du peu…) et sa ribambelle d’invités, sans oublier un Devin Greenwood qui parcourt lui aussi une très large partition, nous lèguent dix titres imprenables, surprenants, dont on ne peut jamais anticiper l’orientation. Le procédé fonctionne, au point de rendre addict tout quidam un tant soit peu persévérant et désireux de se frotter à un son audacieux dans sa conception.