Marqué par la perte d’un de ses membres, Jean-Marc, Rien Virgule s’est interrogé sur la marche à suivre; comment répondre à ce type d’épreuve? La réponse tient en ce disque flamboyant dans l’errance, La consolation des violettes, à l’écoute duquel l’intéressé aurait éprouvé une fierté non feinte. Anne Careil: Synthétiseur, chant; Mathias Pontevia: Batterie et Manuel Duval: Synthétiseurs, Samples, dans un unisson d’Apache(s), initient leur nouvelle épopée au son d’…Apache, au gré de douze minutes sombres où des samples barrés surgissent. Lent, mélodieux dans son parti pris expérimental, voilà une pièce que la voix vient magnifier, sans hâte, comme si elle prenait le temps de déposer ses mots. La magie est là, prête à foudroyer. Elle reste à apprivoiser, entendons-nous bien; Rien Virgule ne peut se ranger dans la caste des groupes policés. C’est ce qui fait, combiné à bien d’autres atouts, sa spécificité. Le titre éponyme, d’un format plus classique, souffle une trame que des sonorités récurrentes ponctuent alors que le chant dévie, épars. Saisissant, le climat subjugue autant qu’il désarçonne. Minimal, Rien Virgule induit des sensations maximales. Improvisé, dédié au « cheminement » sans règles castrantes, l’opus nous emmène dans des régions sonores dont on n’a pas fini de faire le tour, après moults détours que Tambour de nacre, indus, percussif, vocalement marquant -c’est une constante- amène à bifurquer une fois de plus.
Entre beauté, dans l’ornement, et versatilité, dans la direction empruntée, ces trois-là se trouvent. Des élans guillerets se font place, resplendissants, amorcés par l’organe d’ Anne. Tambour de nacre; un intitulé parfaitement seyant, dont les huit minutes passées malaxent les sens et laissent ensuite place à L’Ogresse amoureuse. Une autre aventure musicale bruissante, dérangée, d’une teneur bien au delà du définissable. A la fois spatiale, psyché et obsédante -on a droit, ici aussi, à des sons se répétant à l’envi-, l’ogresse ne se laisse pas dompter. Elle brille, dans le verbe, et suit un sentier détourné. D’une rare beauté, greffée à sa propension à « quitter la route », Rien Virgule affirme, avec panache et dans une jolie fantaisie, son statut d’entité libre. Radio embryon, noir, alarme son monde. Le cri du typographe, un tantinet plus « enjoué », vire presque au symphonique. Symphonique « maison », toutefois, dans le bancal de génie. Des éléments variés, qu’on aurait pu croire contraires, s’allient en l’occurrence jusqu’à former un tout unique.
Avec Huso huso, court, un interlude dark assure la transition. Vers Il Mare Non Si Bagna Mai où l’usage de l’Italien (si j’ai bien tout saisi) étend notre impression de déracinement. Rythme entêtant, fond obscur, décor merveilleusement musical engendrent une accroche forte. On n’hésite guère, au mitan de ces embardées, à dissoner. On le fait bien, c’est même une spécialité chez Rien Virgule qui, dans le même mouvement, peut aussi et soudainement redresser la barre. On adore, ça va sans dire. En initié, on préfèrera La consolation des violettes à n’importe quel autre effort docile. Ficedula parva, dans une sorte de drone qui refuse de se départir de sa brume, poussera cependant l’exigence. Il s’agit évidemment, pour boire toute la sève de ce disque, d’être rompu à la consommation de son élixir. Il est de bon ton, également, d’aimer à se frotter à des méandres fréquents. Une fois l’effort consenti, c’est le départ pour un trip singulier, définitif ou presque.
Ainsi Toque de clous, aux allures d’orchestre titubant, gris, grisant, free jusqu’en ses derniers temps, nous y replonge t-il sans crier gare. L’univers de Rien Virgule se mérite, il s’adresse certes à une frange réduite mais constituée d’auditeurs ouverts et audacieux. La dépendance guette, L’errance des murs (on est, décidément, sur l’album ici décrit, dans le titre à la dégaine de stimuli mental) l’enracine une dernière fois en imposant ses grincements, ses montées et loopings, son chant une fois de plus séduisant dans son ombrage. Après 30 jours à grande échelle (2015) et Le couronnement des silex (2019), La consolation des violettes entérine une forme de trilogie de l’expérimentation concluante, aux vertus addictives insistantes et difficiles à endiguer.