Après Before Bach, en, 2004, en paire « paire-formante », Rodolphe Burger et Erik Marchand remettent le couvert, à nouveau en duo et avec l’apport des comparses habituels du premier nommé (Julien Perraudeau-claviers, basse; Arnad Dieterlen-batterie; Mehdi Haddab évidemment) ainsi que d’une nouvelle venue nommée Pauline Willerwal (violon bulgare et chant), aux interventions splendidissimes. Ils signent, merveilleux comme peut l’être tout disque auquel l’ex Kat Onoma prend part, un Glück Auf ! (« Bonne Chance ! ») en clin d’oeil à la devise des mineurs de Sainte-Marie-Aux-Mines, varié, presque fourre-tout même, tant on y trouve mille et une richesses. C’est en faisant leur Kazanova (reprise d’ Ar Froudennou, chanson du trio Érik Marchand (avec Titi Robin et Keyvan Cheminari) que les deux comparses et leurs collègues de jeu -de je aussi- initient le trip, déjà typé. Bretonnisant, doté, aussi, d’une force blues-rock superbement « Burgertisée », au cachet vocal double et étincelant, d’éclairs de guitare bruissantes, le morceau donne d’emblée de la superbe à un opus qui n’en manquera jamais. L’oud joue du coude, la gadoulka fait valoir son cas. De suite, on est happé par un climat, un son d’ailleurs qui donne des envies d’évasion. Kara toprak, qui relit un morceau traditionnel turc d’Âşık Veysel, fait scintiller le violon, et l’organe vocal, de Pauline. Délié et dépaysant, il m’évoque Altın Gün. C’est dire sa magnificence et, par extension, celle d’un Glück Auf! qui convainc au delà de l’espéré.
Plus loin C’est dans la vallée, morceau trad’ que Rodolphe Burger « rhabille » pour la énième fois, honore l’Amérique sur fond de rock teigneux aux reflets bluesy, comme de coutume chez l’Alsacien. Il en ressort, qui s’en étonnera?, un cachet renversant. Il est, de plus, vigoureux et cadencé. Il entre en crue, revient ensuite à des abords plus sages, si on peut dire. Les chants se répondant ou se complétant, ici encore, imposent leur accord. Dans la roue de ce titre qui raflera des titres, La mine pose un tumulte tranquille, sous-tendu. Les genres s’y télescopent, Marchand l’affuble d’une voix derechef notable. Griffu dans sa retenue, insidieux, il fait gronder, dans la beauté, son instrumentation hors-champ. On n’hésite guère, pour le coup, à étirer la durée. De ce fait c’est dans le temps, imparablement, que Glück Auf! s’immisce dans l’esprit. Nuit albanaise, où Erik et Pauline mêlent leurs chants, s’appuie entre autres sur leur prestance pour se distinguer. Acidulé, folklorique et dynamique, il permet le maintien d’un niveau que beaucoup envieront à l’équipe mobilisée. Les instruments, à nouveau, tissent un canevas déroutant, aussi avenant qu’acéré. On est bluffé, c’est bien loin d’être une première, par la maestria de l’ensemble. Avec Waste land (en effet…), poème de T.S Eliot mis en musique par Rodolphe Burger, accompagné d’un texte additionnel de Myriam Guillevic inspiré de l’écrivain albanais Ismaïl Kadaré, on retrouve un morceau présent, à la base, sur le Good bien nommé du sieur Burger.
Photo Richard Dumas.
Nul étonnement, dès lors, à ce qu’il renvoie la classe chantée du bonhomme. Avec, derrière ça, une étoffe bluesy de tout premier ordre, un brin viciée. L’élégance y préside mais Erik, comme si ça ne pouvait suffire, y va lui aussi de son apport vocal. Le collectif, d’une cohérence qui frise l’insolence, signe dans la minute qui suit un John Henry à la « fantaisie » ensorcelante qui me fait penser, soniquement, à Tom Waits. Mais dont la texture, ça va de soi(e), n’est due qu’au talent fou des êtres ici réunis. On y couple, « as usual », des parties de chant au coffre magique. Il est alors l’heure, quand s’égrènent les dernières notes, de se quitter. Mais Eisbär, dans un nouvelle version transcendante et transcendée, porte le coup de grâce. Il monte en pression, s’enflamme et s’embrasse. Il n’est pas seulement bien mis: il est aussi piquant, orné avec panache et déviance. Son final, d’une intensité rock à la lisière du noisy, écrase toute prétention à la résistance. Pauline s’incruste, on est là face à la magie d’une terminaison empreinte de déraison. Glück Auf!, après le fabuleux Environs de Rodolphe Burger, met en exergue une suite de créations toutes en passion, en implication, d’une portée qui nous fait oublier, par son pouvoir de séduction, une époque bien moins reluisante que les contours de ce disque de haut vol.