Chypriote, Monsieur Doumani se poste entre avant-folk, rock, psychédélisme et instrumentation où cordes, trombone et chant trouvent une place de choix. Il fait honneur aux accents de son pays, ce Pissourin qui est son quatrième album les porte logiquement et le trio, privé de son leader Angelo Ionas, remplacé par Andys Skordis qui épaulait le groupe à la guitare, en tournée, bénéficie des idées de ce dernier. Il en tire profit; les neuf morceaux du disque sentent bon le dépaysement, pour nous, et l’enracinement dans leur environnement culturel, mais aussi musical, pour les trois comparses. Tiritichtas groove et ondule, ses sonorités vrillent. Entre tradition et modernité, plages tribales et cuivres ivres, le début rafle déjà la mise. L’originalité est à son zénith, écoutée à volume élevé l’amorce produit un effet monstre. Poulia n’en fait pas moins; il accentue, au contraire, l’emprise d’un début d’album enchanteur, déroutant, passionnant. L’orage arrive, la force de frappe des musiciens est audible et leur versatilité tient parfaitement debout. On pense à Altın Gün quand retentit Kalikandjari. Normal, Monsieur Doumani use du registre turc avec la même maestria. Le rapprochement est bien évidement créditeur: les soubresauts nerveux du titre en question, sa finesse musicale, en faisant un must comme l’est tout le reste de l’opus.
Alors Koukkoufkiaos, tout aussi enivrant, s’en vient présenter son psych-blues-folk finaud autant que bourru. Impeccable, il instaure un trip dans lequel on reste englué. Il y a des airs de Kusturica, ainsi, dans le déracinement qu’instaure Monsieur Doumani. Le titre éponyme « folklorise » avec, c’est une constante dans le groupe, ce sens de l’identité qui bordure ses efforts et les singularise. Les instruments grondent, renvoient aussi un brio confondant. Le final enfante un boucan magique, puis Thamata prolonge l’embardée en faisant couiner son trombone. Les voix, une fois de plus, font sensation. Elles nous extraient, elles aussi, de nos bases habituelles. Il est bon de suivre Monsieur Doumani, digne de son appartenance au label Glitterbeat, dans ses pérégrinations. Son refus des conventions, son choix de se démarquer en détournant les codes, en font un combo captivant de bout en bout. Il en ressort, sur ce Pissourin, des rengaines de fête déglinguée, typée, jonchée d’éléments locaux décisifs.
Alavrostishiotis enchaine subtilement, un brin bluesy. C’est Tinariwen, aussi, qui vient à l’esprit quand on s’imprègne des sons de ces indispensables Chypriotes. L’attraction est continuelle, l’inspiration optimale. Le tzouras, comme attendu, entérine l’option « de là-bas » qu’engendre l’album. A l’instar de formations comme Delgres ou Songhoy Blues, Monsieur Doumani se distingue et fait valoir ses sources. Nychtopapparos nous entraine dans son sillage, dans sa retenue qui menace de rompre. On est depuis belle lurette, de toute manière, acquis à la cause d’ Andonis Antoniou (tzouras), Demetris Yiasemides (trombone) et Andys Skordis (guitare). Rock et folklorique, psyché et transcendant, leur son ne peut souffrir la moindre contestation. Je les découvre avec Pissourin, j’irai toutefois explorer le reste de leur oeuvres à l’issue de l’écoute.
C’est Astrahan, endiablé, virevoltant, qui met fin aux festivités. Chants déviants, notes prenantes, style novateur portent Monsieur Doumani aux cimes. Tempétueux, le final semble monter en puissance, augurer d’une averse nourrie. Il n’en est pourtant rien, il s’en tient à ses airs « au bord du ravin ». Superbissime, Pissourin sacre une clique déjà honorée dans de nombreuses colonnes. Sa reconnaissance n’est pas volée, loin s’en faut et l’opus en présence lui permet de franchir un échelon supplémentaire, direction la cour des grands au répertoire sans égal doublé d’une sacrée dose de talent et d’idées porteuses.