Projet basé à Paris, tantôt dévoué à un seul homme (Sébastyén D.), tantôt groupal, Opium Dream Estate s’emploie, depuis 2009 et son Anamorphosis inaugural, à créer sa peau sonore. Il le fait (extrêmement) bien, dans son chaudron mijotent dark-folk, rock sombre, contours goth et psychédélisme flirtant avec le mystique. Avec Pilgrimage, modèle de dureté racée, notre homme et ses collègues de jeu, à savoir Guillaume Jannin (bass, synth-bass, backing vocals), Hellebore (keyboards, piano, organs, monotron, melodica, concertina, backing vocals) et Vincent Fauvet (drums, percussions, backing vocals), réalisent la prouesse de ne jamais flancher. On s’en réjouit d’autant plus que le registre attaque fort et de manière puissante, batterie sauvage en avant (Broken arrow, première salve grésillante en suite à l’intro brève qu’est The path). On note, de suite, la musicalité de la composition, couplée à sa belle explosivité. Il y a des airs de Wovenhand dans ce début, Black tar veins suit en puisant dans une ferveur stylée. Sa retenue, ses mélodies de choix et décors de goût lui confèrent de l’allure. Ses sautes d’humeur, sa beauté récurrente en font un must. Puis Feathers, clippé plus bas, riffe cru et se déroule dans le lancinant. Il s’impose, par son timbre de voix comme par ses abords écorchés.
Pilgrimage, ça va sans dire, part sur des bases élevées. Des susurrations, au mitan du morceau, le font retomber avant que le bruit bien mis ne reprenne ses droits. Dans son assise entre fureur et patine, Opium Dream Estate mérite la palme mais ne s’endort pas sur ses lauriers. The lodge prend alors la main, au gré d’une soie folk superbe. L’étayage, à nouveau, brille et reluit. Il y a de l’âme, une sincérité du plus beau crin, dans ce qu’entreprend le groupe. La douce agitation du titre, sa sensibilité à fleur de peau, l’emmènent aussi haut que le reste de l’opus. Sa fin se fait noisy, sans se départir de sa magnificence. Dans la foulée Against the grain, sous-tendu par sa batterie, convoque vocaux crooner et bordurage au carrefour du chatoyant et de l’acidulé. Ca gicle, ça entre presque en éruption mais le morceau reste sur le fil, merveilleux. Thrown away, bluesy, enfumé, mue vite en une chanson scandée, bavarde, magnifiée elle aussi par son instrumentation. Au vu du panel employé et déployé, on ne s’en étonne que très peu. Caractériel, tiré à quatre épingles aussi, avec quelques trous dans le soie, Pilgrimage sent la rage et le vrai.
Ainsi Of Iron, Wood & Bones, d’une durée étendue, par son mysticisme subtil et fiévreux, fait mouche à son tour. The wanderer, dans son sillage, se montre tout à la fois dark et mélodique, remarquable avec ses chants associés. Jamais dans le dur, le disque renvoie une force incoercible. Son rock ardent, distingué, lui vaudra des honneurs qu’il n’aura pas usurpés. Tout ça me permet de placer ici, avec plaisir et jubilation, mon constat selon lequel nous détenons, au sein du pays, tout ce qu’il faut pour soutenir la comparaison avec nos amis d’ailleurs. Wilderness, sublime de quiétude, le prouve avec brio. Sur son second volet, il s’emporte et se dote d’un saxophone bien wild. A chaque morceau, on se surprend à pleinement adhérer. Il est l’heure des au-revoir, à Morning King échoit la tache de conclure l’affaire. On aura sur ce Pilgrimage, très largement et sur la durée, trouvé de quoi combler notre soif de son sans fard, façonné avec talent.
Le final, de plus, bouillonne tout en se tempérant. D’orages en pluie plus fine, il fait, chez l’auditeur…le beau temps. Apprêté comme un promis, brut comme un flingueur, c’est un album de première main. Opium Dream Estate l’ajoute donc à une discographie déjà concluante, sur laquelle il s’agit de se pencher sans plus attendre car celle-ci se veut l’égal, si ce n’est mieux, de toute référence reconnue dans les genres qui la composent. Le tout dans une attitude indé et hors-normes, régie par l’authenticité et le désir de ne jamais tromper son monde, à l’image des Pixies de la belle époque.