Après avoir pris part à HONORIS II-TRIBUTE TO THE SISTERS OF MERCY & THE SISTERHOOD, et sorti une poignée d’albums où nichent folk, touches goth, psychédélisme et élans durs, Opium Dream Estate se raconte au micro de Will Dum…
1) Quel est l’état d’esprit actuel d’Opium Dream Estate, en ces temps de pandémie dont la fin est sans cesse annoncée puis repoussée ? Cette dernière a t-elle eu une quelconque influence sur ta manière de travailler ?
Comme pour beaucoup je pense, c’est le flou, l’inconnu. Personnellement, c’est un peu « Je ne sais pas où je vais, mais j’y vais et on verra bien ». Même si orgas, intermittents, artistes font leur maximum pour que la scène indé subsiste, que les festivals et concerts réapparaissent – on a d’ailleurs quelque dates qui vont tomber-, la situation est telle que tout peut être annulé à tout moment. Du coup, c’est difficile de se projeter dans plusieurs mois et envisager telle ou telle chose. Après, la situation est tout de même meilleure que l’an dernier; espérons donc que ça puisse continuer ainsi.
Confinement oblige, j’ai bossé sur les compos, les démos, mixé pour des artistes ou encore joué en guest sur tel ou tel album pour d’autres artistes et amis. Au final, ça n’a pas changé grand-chose pour moi vu que Opium Dream Estate est né en tant que projet solo. Aujourd’hui encore, je bosse souvent seul en amont, puis on voit avec le groupe comment faire évoluer telle ou telle idée. Pour la reprise des Sisters of Mercy, par exemple, on a travaillé à distance sur la démo que j’avais au préalable enregistrée, puis en studio pour retravailler la structure, les sons, les enregistrements, etc.
En parallèle d’Opium Dream Estate, j’ai enregistré, avec Rodolphe Goujet et Aurélien Jobard, le premier album de The Funeral Warehouse, groupe d’obédience post-punk/indie. Le premier album, Hours & Days, sortira en novembre sur Icy Cold Records.
2) Ton dernier effort en date consiste en une contribution à Honoris II Tribute to The Sisters Of Mercy & Sisterhood, recueil de reprises des Sisters of Mercy initiée par Pedro Peñas Robles d’Unknown Pleasures Records. J’imagine que le groupe d’Andrew Eldritch fait partie de tes favoris ? Tu reprends, à cette occasion, Some Kind Of Stranger. Comment s’est fait le choix de ce titre en particulier ?
Sans que Sisters of Mercy soit mon groupe fétiche, leur premier album, First And Last And Always, est un disque que j’affectionne tout particulièrement. Le choix s’est fait par le biais de Pedro Peñas Robles, d’Unknown Pleasures Records donc, qui m’a demandé si on était partant pour être sur la compilation, et de choisir entre On The Wire et Some Kind of Stranger. J’ai immédiatement choisi la deuxième car, même si j’adore On The Wire, j’ai senti qu’on pouvait plus facilement donner à Some Kind of Stranger une ambiance « à la Opium Dream Estate ». A savoir folk sombre, bluesy et poussiéreuse. Et puis cette envolée vocale sur la fin est tellement jouissive à chanter !!!
3) Comment vois-tu l’exercice de la reprise ? Est-ce que ça n’engendre pas une forme de « pression », notamment lorsqu’on s’attaque à un morceau de l’un de ses groupes préférés ?
Je dirais que c’est à la fois un hommage et une sorte de challenge. Surtout quand on reprend un groupe que l’on admire mais qui ne s’inscrit pas du tout dans le style que l’on joue. Pouvoir à la fois apporter quelque chose de nouveau au morceau, une nouvelle couleur, une autre ambiance, une sonorité différente mais sans dénaturer l’original. Parfois, ma manière de reprendre tel ou tel morceau parait évident et à d’autres moments, il faut s’y reprendre à plusieurs fois avant de trouver la bonne direction. Pour les Sisters ce fût le cas : j’avais l’idée de l’ambiance mais pour le son, l’évolution à appliquer au morceau -surtout l’intro et premier couplet- j’ai du me réemployer avant d’en arriver au rendu final. Au final ça a payé. Enfin je crois…(rires).
4) As-tu écouté le reste de ce Honoris II Tribute to The Sisters Of Mercy & Sisterhood ? Qu’en penses-tu ? Si certaines reprises restent fidèles, bon nombre d’autres ont, à mon sens, le mérite de creuser un peu plus loin sans dénaturer le morceau d’origine…
Oui bien sûr, j’ai écouté et sans vouloir faire de « l’autopromo », c’est une excellente compilation. Pedro a su parfaitement gérer le tout. J’ai apprécié, tout particulièrement, les versions de Marian par Selfishadows et Nine While Nine par Kill Shelter & Antipole, avec leur côté electrodark très dansant. Mais dans l’ensemble, comme tu l’as dit, les reprises apportent quelque chose de nouveau, une nouvelle lecture. Entre EBM, darkwave, rock et coldwave mais sans dénaturer le morceau d’origine. Et pourtant, curieusement, ce n’est pas chose aisée. Les chansons des Sisters sont simples et directes mais tellement marquées par leur son et la voix d’Andrew Eldrich, du style goth aussi, que pour s’en détacher c’est très compliqué. Ca peut devenir vite fade ou caricatural. Et là non, c’est juste parfait. Hâte d’avoir notre exemplaire entre les mains !
5) T’est-il déjà arrivé, avec Opium Dream Estate, de reprendre d’autres groupes ? Peux-tu nous dresser une petite « réacap » de tes covers et des raisons qui les ont motivées ?
Oui bien sûr, en live ou studio. Opium Dream Estate a repris, en solo ou sous sa forme groupale, Nick Cave, Rowland S. Howard, 16 Horsepower, The Doors, Pink Floyd, Dead Can Dance, Tom Waits, Pearl Jam, Joy Division, REM, Sol Invictus, Bruce Springsteen (oui oui !!), The Cure. Et j’en oublie beaucoup! Pour la plupart le choix était dû au moment, j’écoutais alors tel ou tel groupe ou artiste et je me disais « Tiens, ça serait pas mal de jouer ce morceau en live ou en studio ». Parfois c’était des demandes de labels, comme pour But What Ends When The Symbol Shattered ? de Death in June pour la compilation Honoris DI6 sur Unknown Pleasures Records, ou Berlin pour le tribute Paul Roland sur At Sea Compilation. Ou encore Heart & Soul de Joy Division, pour la compilation hommage à Ian Curtis sur Seventh Crow Records.
Il faut bien sûr que je sente que quelque chose de nouveau ou différent puisse être apporté. Faire du copier-coller n’est pas mon truc. Il y a, bien entendu, des reprises que j’ai faites que je trouve aujourd’hui « passables », on va dire. Mais à l’inverse, je suis assez fier de certaines comme Kneel to the Cross de Sol Invictus, Set The Control for the Heart of the Sun, Dead Souls de Joy Division ou encore Celebrate de Fields of the Nephilim. Et, bien sûr, celle des Sisters.
Il y a d’autres chansons que je songe à reprendre, en studio ou sur scène donc. Partant de là, pourquoi ne pas sortir une série d’EPs des covers que j’estime être assez bonnes pour être dévoilées au grand public. Même si certaines avait été mises en ligne un temps, sur Soundcloud. Wait and see, comme on dit…
6) Quel regard portes-tu, par ailleurs, sur la discographie des Sisters of Mercy ?
Comme je l’ai dit un peu avant, c’est surtout le premier album qui m’a fait impression. Les deux suivants moins, même s’il y a quelques pépites sur Floodland. Mais je trouve que malheureusement, il existait chez les Sisters, au départ, une certaine fraicheur et spontanéité qui se sont diluées au fil des albums. C’est dommage car Andrew Eldrich a une voix superbe, sombre et puissante mais musicalement, ça n’a pas suivi. Peut-être que le nouvel album me contredira quand il sortira, en 2048. Mais en attendant, ils ont créé de sublimes morceaux : Alice, Lucretia My Reflection, le génialissime Marian qui est pour moi le meilleur morceau des Sisters, ou encore The Poison Door. Ne boudons pas notre plaisir, après tout.
7) Pour en revenir à Opium Dream Estate, ton panel se partage, pour résumer, entre « rock dark », néo-folk, touches gothiques et psychédélisme, le tout imprégnant à l’envi tes différents albums ? Qu’est-ce qui explique un éventail aussi large et le fait que tu le laisses se déployer librement sur tes sorties successives ?
J’au eu la chance de grandir dans une famille qui écoutait de la musique allant des Beatles à The Cure en passant par Led Zep, Eddy Mitchell, Black Sabbath, AC/DC, Renaud, les Stones, Genesis, Pink Floyd, du classique… J’ai donc eu une éducation musicale très éclectique et j’ai par la suite élargi ma culture musicale en commençant à jouer et composer, écoutant du blues, des musiques du monde, du grunge, du goth, de l’indus, etc. Et ça continue encore aujourd’hui. J’aime découvrir de nouveaux sons, de nouvelles ambiances.
Même si la musique d’Opium Dream Estate s’inscrit, tout du moins aujourd’hui, dans un rock sombre teinté de psyché, de blues, de dark americana… influencée par des groupes comme les Bad Seeds, The Doors, 16 Horsepower, PJ Harvey, Sol Invictus, The Gun Club, elle n’est pas figée. Certaines influences s’effacent avec le temps pour laisser places à d’autres et revenir ensuite, le tout se mélangeant pour donner parfois quelque chose d’innovant. Une matière avec laquelle je sens que je peux dire quelque chose, faire passer des émotions, un message sans me répéter encore et encore. Je n’ai aucun problème à mélanger les styles, au sein d’un même album ou bien album après album, ou à essayer certaines choses qui peuvent parfois surprendre. C’est aussi quelque chose que j’attends des groupes que j’apprécie.
Il faut aussi comprendre que la musique d’Opium Dream Estate n’était à l’origine pas destinée à la scène –hormis quelques sessions folk ici et là–, d’où le fait que les premiers albums sonnent très ambient voire expérimental. Mais au fil des années et après quelques concerts, j’ai eu de plus en plus envie de jouer cette musique en public, de la faire découvrir. Du coup le style a évolué, le son également et surtout, avec l’arrivée d’autres musiciens, la musique est devenues plus directe, calée pour le live mais tout en gardant les ambiances qui drapent les premiers albums. A ce titre, la chanson Of Iron, Wood and Bones sur notre dernier album, est un bon exemple.
8) Ton dernier disque, Pilgrimage, prend une forme plus ouvertement groupale. Est-ce du à l’envie de t’extirper de la formule solo ? Quels sont selon toi les avantages et inconvénients de chacune de ces deux options ?
Pilgrimage est effectivement le premier album d’Opium Dream Estate en tant que groupe, même si ce n’est pas la première parution; un single et une reprise de Death in June , en effet, sont sortis avant.
Même si en solo on peut tout contrôler, et j’avoue être assez control-freak sur les bords (c’est quelque chose de tellement satisfaisant de pouvoir sortir des EPs ou albums et de se dire « J’ai tout fait »), très egocentrique aussi, au bout d’un moment on a tendance à se répéter, à rester figé dans une certaine zone de confort et ce même si on essaye d’explorer de nouvelles pistes, de nouvelles influences. C’est ce qui s’est passé pour moi après Funeral In Narragonia où je sentais que seul, ça allait tourner en rond, qu’il fallait faire évoluer le projet, musicalement et humainement.
En groupe les autres membres apportent du sang neuf. D’autant que dans Opium Dream Estate, et même si on se retrouve plus ou moins sur le côté goth et rock indé 80’s/90’s, on vient d’horizons assez différents. Et puis ça me permet de me concentrer sur le chant et les guitares. J’ai une totale confiance en les autres membres pour les idées inhérentes à la basse, au clavier ou encore à la batterie. Bien sûr, j’ai toujours des idées pour les autres instruments mais souvent, ils proposent autre chose de bien plus créatif ou original. Et c’est tant mieux. Parfois on garde leurs idées et les miennes et ça, c’est bien (rires). Dans un groupe, tout le monde à son mot à dire et il faut savoir accepter les idées des autres et se dire « C’est effectivement mieux comme ça ».
Lorsque je joue en solo, évidemment, c’est plus compliqué car il manque clairement un autre élément. Il faut donc alors que je repense le morceau, mais c’est stimulant aussi. Et puis à quatre, on a retravaillé des anciens morceaux et ça les dote d’une autre ambiance, comme pour The Last Kiss ou Devil’s Bride qui sur scène a un côté cabaret que j’aime beaucoup.
9) De quoi est né, par ailleurs, Opium Dream Estate ? Qu’est-ce qui fait qu’un beau jour, tu as créé ce projet ?
Dans le milieu des années 2000, je jouais dans un groupe de rock indé, à tendance grunge. Après la fin du projet, j’ai commencé à composer dans des styles différents, à expérimenter certaines choses. C’était du coup un peu fourre-tout, allant de la néofolk au post-punk, de l’ambiant au rock indus. Mais petit à petit, le style néofolk s’est imposé. J’ai commencé à écrire les premières démos, à les poster sur Myspace. Certaines ont alors trouvé leur public et c’est parti comme ça. C’est d’ailleurs via Myspace que j’ai rencontré l’artiste Maria Labuena qui a réalisé la plupart des pochettes et artworks de albums d’ODE.
10) Opium Dream Estate est-il pour toi une échappatoire, une fuite face à des temps âpres et éprouvant ? De quoi traites-tu dans tes textes ?
Oui et non. Je parle certes d’expériences vécues dans certaines de mes chansons mais la plupart du temps, le son provoque l’image chez moi. En gros j’entends les accords, le clavier, la mélodie… et des images se forment, puis des mots. Cela dit, j’ai évidemment mes thèmes de prédilections : la mort et la folie par exemple. L’album Funeral In Narragonia est d’ailleurs exclusivement inspiré par ces deux thèmes mais aussi des religions, croyances et œuvres littéraires qui y font échos. Le titre fait référence à la Nef des Fous de Sebastian Brant.
Je parle également de l’errance, de l’amour impossible ou perdu, d’art du XIXème siècle, des mes lectures, d’œuvres littéraires romantiques ou gothiques – Le nom Opium Dream Estate vient d’ailleurs d’un poème d’Edgar Allan Poe, de la nature… Il m’arrive aussi, de temps à autre, de créer de petites histoires qui se terminent mal en général, comme avec Against The Grain, The Sacred Dawn, Gotta Get Murdered ou Black Desert Blues. Ces histoires sont très inspirées des Murder Ballads des siècles passées.
Plus récemment, je parle de thèmes plus graves comme ce qui ce passe actuellement à propos du climat, des minorités écrasées, du racisme comme sur le dernier album qui est clairement engagé. Sur l’opus précédent aussi, avec les chansons The Sacred Dawn, Black Vultures et Dirty Hands qui évoquaient les Noirs sous l’esclavage, ou les minorités que l’on réduisait au silence. Mais de manière générale, ca reste suffisamment flou pour que la personne qui écoute les chansons puisse les interpréter comme il ou elle le sent. Je n’aime pas imposer, je préfère suggérer…
11) Quels sont tes projets actuels ? Parviens-tu encore, en cette époque où durer peut paraître illusoire, à te projeter dans le temps ?
Pour le moment la scène, pouvoir à nouveau jouer devant du public, présenter l’album. Puis ensuite bosser de nouveaux morceaux et essayer de sortir un single ou EP, voire un nouvel album. Si pour les concerts c’est encore le flou, pour les sorties ce n’est pas le cas: tant que je respire, Opium Dream Estate existera et par conséquent, sortira des albums. En groupe, je l’espère évidemment. L’ambiance dans le groupe étant bonne, il n’y a pas de raison de douter à ce niveau.
Après je n’aime pas trop me projeter trop en avant dans le temps; il est préférable, selon moi, de garder à l’esprit que rien est défini. La situation actuelle nous le rappelle très bien, il vaut mieux se projeter sur les quelques mois qui arrivent que sur 2022 ou encore après. Chaque chose en son temps. Les concerts avant toute chose, puis on bossera de nouveaux morceaux.
Bandcamp Dream Opium Estate / Tribute Sisters of Mercy (Unknown Pleasures Records)