Défricheur pop encore en activité, le Pere Ubu de David Thomas a droit à sa salve de rééditions, initiée par Fire Records. Pennsylvania, sorti en 1998, en fait partie ces jours-ci avec St Arkansas, après qu’une brassée d’autres opus aient eux aussi été ressortis ces dernières années. C’est le sieur Thomas, en personne, qui se charge d’en remixer les titres. D’emblée, le bain de jouvence prend comme à la belle époque. Woolie Bullie (2021 Remix and Master), lent et dissonant, chanté-parlé, instaure déjà une forme d’exploration, propre au groupe, qui le voit quitter les balises traditionnelles. Highwaterville suit, lo-fi, bref et pourtant séduisant. SADTXT se fait lui bluesy, lo-fi tout autant, bardé de petits sons qui, chez Pavement ou encore Sebadoh, feront merveille. Il y a aussi le timbre typé, singulier, du leader qui, bien évidemment, contribue à racer l’ensemble. Urban Lifestyle, endiablé, groovy et incanté, prend le relai pour affirmer, avec ses airs de The Ex, la propension de Pere Ubu à tracer ses propres lignes. Sur ce Pennsylvania, déjà son onzième « bébé », il le fait remarquablement bien. Des fentes jazzy triturées s’échappent, ça bruisse de partout et une fois de plus, des sonorités ingénieuses bordent le morceau.
Silent Springs, un brin lunaire mais aussi nerveux, étend le trip. Dans une étrangeté captivante, Pere Ubu assied son approche, continue à bifurquer. Mr. Wheeler, dans une sorte de post-punk à la basse obsédante, titube et se saccade. Ses motifs se répètent, ça les rend d’autant plus addictifs. Rafales de batterie, climat perché attrapent l’auditoire, forcément initié car chez Pere Ubu, on ne fait pas dans le droit. Muddy Waters en atteste, ramassé, plutôt urgent. Le « lo-fiisme » du clan de Cleveland est magique: c’est à vrai dire son atout principal, combiné à son esprit déconstruit. Slow sert des sons disco, en son début, pris dans une énergie post-punk barrée et noisy. Passionnant, le registre prend sans peiner. Sans compromis aucun, Pere Ubu zigzague et délire avec maestria. Le jazz psyché de Drive ne redresse pas sa marche, le laissant broder à sa guise et par conséquent, de manière attractive. Indiangiver tarabiscote sa pop, Monday Morning renoue avec un spoken-word habillé de sons obscurs et déclinés sur un rythme lent. Le fond, vrillé, menace d’imploser.
C’est dans les sorties dérobées, dans les espaces qui serpentent, que Pere Ubu performe optimalement. En fin de parcours, ou presque, Fly’s Eye allie tranquillité et salves sonores d’un genre indéterminé, qui ratissent large et doivent à plus d’un courant musical. Enfin Wheelhouse, plus ouvertement rock -dans ses riffs, tout au moins-, conclut avec allant un album majeur, un de plus, devrais-je dire, à mettre à l’actif d’un projet non seulement durable, mais aussi prolifique et constamment fiable. Il va de soi que ses ressorties, en nombre conséquent, valent plus d’un détour et sauront, selon des tons divers et orientations génialement déroutantes, satisfaire nos penchants pour le son audacieux, dépoli, qui jonche la discographie étendue de Pere Ubu.