Duo devenu trio depuis sa troisième fournée en termes d’albums, si je ne m’abuse, suite à l’intronisation du poète-chanteur-trompettiste Macdara Smith, irlandais au parcours aussi riche que celui des deux acolytes qui lui font place, Zarboth poursuit sa passionnante entreprise de défrichage sans âge. Depuis 2009 et un album éponyme déjà renversant, en effet, la paire Etienne Gaillochet/Phil Reptil n’a de cesse de s’illuminer, de nous allumer à grand renfort de poussées d’adrénaline sans genre précis, dotées d’un groove dingue et récurrent.
Avec l’opus en présence, il va de soi que la recette n’a pas vocation à se policer: d’emblée, Poly mono allie secousses brutes et cuivres explosifs, sur fond de sons tarés. On est en terrain connu et miné, là où Zarboth définit des contours dont il faut plus d’un jour pour faire le tour. Comme à l’habitude, son bordel est passionnant. Il rugit, se fait souple, ondule et bastonne. Les chants prennent la tangente, des salves funky façon Primus côtoient des passages à la Mister Bungle, qui nous en mettent plein la gueule. On est venu pour ça, de faire balafrer la tranquillité et Stymied, d’un refrain obsédant et de ses notes funk aux abords lunaires, forcément fou et délirant, inspiré à souhait, assène une seconde taloche décisive.
Zarboth est précieux, il ose la différence. Mieux, c’est son cheval de bataille. I wanna be naked, apaisé, un tantinet jazzy, finit par monter insidieusement en puissance. Chant au débit hip-hop et déflagrations maison sont au diapason, on est ici comme à la maison. Cuivres chauds et rythmique souple, grattes qui mettent des claques, soudaine accélération portent le truc vers les cimes. Sauvage, Zarboth sait aussi se nuancer. Back for the crown le démontre: il se retient, fait valoir une finesse magnifique. This is the moment, qui le suit, fait plus de bruit. Il se syncope, alterne éclairs et rayons de soleil. De ces trois-là, dans la symbiose frappadingue, ne peut surgir que le meilleur. Underground river, sautillant, fait transpirer les croupes. Mais où vont-ils chercher tout ça, ces bonshommes au cerveau fumant? Des parties bluesy triturées remuent la purée, une fois de plus le résultat surfe au dessus du tas. Mirror voices, entre riffs crus et temps plus subtils, remporte lui aussi la partie. Glaive sorti du fourreau, Zarboth part à l’attaque; la normalité il traque, qu’il pourfend sans ménagement. In The Name Of…laisse les cuivres déraper, la voix déblatérer. Zarboth n’a pas d’égal, c’est entre autres ce qui le place à un rang élevé dans notre estime. Moonboy titube, mord et braille avant de redescendre.
Résister ne serait guère raisonnable, Stainy écrase d’ailleurs, par son amorce veloutée, toute velléité d’opposition. Il demeure… »raisonnable »? C’est un bien grand mot, quand on connait Zarboth. Il reste néanmoins mesuré, chaleureux, au bord du fil mais sans chuter. Grand Barnum All Bloom garde pour son terme, en guise de cerise sur le gâteau, un What music what music à la durée conséquente. Dix minutes, ou presque, de brillance indomptable, forte d’une voix narrative aux tons expressifs. Ca groove, ici et encore, de manière irrémédiable. « J’m’ai trompé », comme dirait l’autre. Sur ces neuf minutes outrepassées se trouve également un bonus track folichon, appuyé, dont Zarboth détient le secret. Il a gagné, on est sous l’emprise de ses divines ruades et son parcours se pare là d’une étape où l’arrêt prolongé s’impose. C’est certes une constante, depuis les premiers pas du trio. Mais à chaque sortie, on adhère sans conditions. Disque de valeur, sans butoir ni raison limitatrice, Grand Barnum All Bloom joue un boucan réjouissant, inclassable et durablement addictif.