On sait Ithak, le projet d’un Seb El Zin à l’imagination débordante mais jamais débordée, voué à l’originalité. L’homme aux mille projets, épaulé ici par Francois Sabin (Barytone saxophone), Stéphane Gasquet (Analog synthesizers), Thomas Ballarini & Charlie Dalin (percussions (Cavale)) et Melek Karasu (vocals (Kaaba Moonlight) & backing vocals (Tiresias Suite)), aime à dérouter, à inventer, à faire surgir des esquisses sonores inédites, audacieuses, au carrefour de genres qu’on pourrait croire incompatibles. Avec Tirésias, nouvel EP forcément dépaysant, nous est illustrée l’histoire de la descente d’Ulysse aux enfers, de la révélation par le devin Tiresias du chemin de sa terre natale. Une longue descente vers l’obscurité intérieure et ses régions inexplorées, conclue par une révélation poétique. C’est en tout cas ce que dit le site du groupe mais ce ne sont là que mots; à l’écoute le trip est poussé, vertigineux même puisque c’est le titre éponyme, de plus de vingt minutes, qui sans prévenir nous balade entre recoins éloignés, orientalisme free et effluves psyché versatiles. Ithak y place des secousses sans ménagement, suivies d’ encarts raffinés.
Le foutoir, qui n’en est pas un à vrai dire, tient debout sous l’effet d’un sens de l’assemblage qui amène Tiresias très haut. Il agit sur le mental, purge et malmène avec un foutu brio. Sa voix, vaguement hip-hop, vient surligner une fin magistrale, agitée-déjantée, faite de sons qui embarquent jusqu’à ne plus pouvoir revenir. On s’en relève avec difficultés, terrassé par une entrée en matière sans chaines. Pour récupérer La cavale, bien plus posé, fait briller ses notes sereines. Chez Ithak, on peut passer d’un climat à l’autre sans que rien n’entrave le rendu. Le ton, en l’occurrence, est folk. Le chant convoque notre langue, gorgée de poésie. On retombe, sous le joug de petites sonorités bien trouvées qui perlent le morceau. Pastorale suit, c’est une forme d’interlude à la dégaine presque médiévale qui, à mon sens, aurait gagné à être poussée. Qu’à cela ne tienne, Kaaba moonlight (Alamut remix) déboule alors avec son indus dark, groovy et obsédant, aux contours trip-hop de génie, pour à nouveau nous désarçonner.
Chant de là-bas, séquences entêtantes, bribes tribales et je ne sais quoi encore envoûtent, ici et encore, de manière irréversible. Ca pulse de partout, on ne peut rester de marbre devant une telle échappée. Haut en couleurs, de grande valeur, l’EP trouve sa fin avec Utrecht interlude 01-The exotism factory. Une composition finale céleste, possédée, aux recoins inquiétants. Le tout a été enregistré à Paris (Crypte des Abbesses, Studio Salam), Croisy-sur-Eure (Manoir Boursin), Istanbul (Studio Alekka) et Amsterdam (Steim) par Yann Bouloiseau, Freddy Martineau et Seb el Zin himself. C’est dire son étendue, sa portée et son refus de se figer. Ithak, qui a déjà à son actif une soute entière de créations décalées et voyageuses, nous sert un Tiresias dont on ne fera le tour qu’après de multiples détours. Un EP qui joue des tours, monte dans les tours, fait battre les tambours et suscite une accroche durable, une emprise même, dues à la magie de ses sons et orientations.
Notons, pour finir et si ça peut « rameuter », qu’ Ithak jouera ce dimanche soir au festival Ris en Selle.