L’album originel de Grauzone, sorti en 1981, et l’intégralité des chansons additionnelles de sa discographie. Un album live en bonus. Voilà ce que propose, en termes de son, cette réédition amorcée par WRWTFWW Records, de Genève. Autant le dire de suite, on s’y régale et les titres cold s’empilent sans faiblir, avec pour tête de file ce FILM 2 électro-cold qui sans plus attendre balourde sa texture un brin dépaysante. Avant Schlachtet!, effort cold aux relents indus des plus présentables à l’instar de tout ce que Martin Eicher, Stephan Eicher et Marco Repetto, ses trois membres réguliers, ont pu créer à l’époque en dépit d’une carrière brève. Le groupe de Berne, précurseur, parcourant un panel qu’il s’octroyait le droit, voire la règle, de ne jamais fermer. Hinter Den Bergen, ainsi, conjugue électro-pop et nappes cold plutôt célestes avant de se faire plus remuantes.
Au bout du compte, il s’agit là d’ une nouvelle réussite qui en annonce bien d’autres. Maikäfer Flieg et ses penchants psychotropes, flous. Marmelade Und Himbeereis, presque psyché mais à la fin cinglée, à l’impact accru par l’usage de l’Allemand. Wütendes Glas, imparablement punk-cold. Kälte Kriecht, électro-indus, groovy et bien dark. Grauzone explore, avec adresse, et prend des chemins détournés. Kunstgewerbe est court, trop pour complètement persuader. Der Weg Zu Zweit suit, quasiment folk en son amorce. Puis il vire cold-folk, ou dark-folk, pour s’ajouter à la gondole aux merveilles de la formation des frères Eicher.
Dans la foulée In Der Nacht, au titre bien senti, livre ses scories spatiales. Le coffret est épuisé, ne reste que sa version numérique disponible à l’achat. Pour une fois, une seule, j’aurais volontiers lâché quelques pesos. Ce n’est que partie remise, l’écoute me file ensuite ce Eisbär incroyable, que depuis plusieurs années je beugle dans mon immeuble. Intemporel, interplanétaire. On resterait scotché dessus, s’il n’était pas entouré de nombreuses autres perles. Ich Lieb Sie, d’ailleurs, en est. Obsédant, presque sentimental, il montre Grauzone sous un angle relativement posé, aussi estimable que quand la clique s’emballe. Moskau, cadencé, cold -tiens donc!- mais aussi léger, puis un Ein Tanz Mit Dem Tod braillé et « pavé », étendant ensuite l’éventail sans jamais fauter. Si « faute » il y a, et je parle là de vertu, elle réside dans ce parti pris libre, déviant, qui place Grauzone au delà de tout soupçon. Träume Mit Mir est lui presque guilleret, porté par des synthés qui volent au vent. Ich Und Du s’avère plus ardent, d’un rock presque « classique ». Wütendes Glas (Maxi Version), en ce qui le concerne, dynamise et « exotise » sa version d’origine. Impeccable, la partie studio se déroule sans anicroches. Raum poste une sorte de dub-punk halluciné, bien orné. Enfin Film 1, expérimental, clôt le chapitre sur un air barré, brumeux à souhait.
A la suite le live, joué au Gaskessel à Berne, le 12 avril 1980, mêle sauvagement « errance », j’entends par là investigation stylistique, et force de frappe cold/post-punk. Le tout est doté d’un groove, d’un impact, en plus de constituer une forme de document, qui en pousse l’attrait. La set-list, complémentaire de celle du volet hors-live, est la suivante: A1. Plastikherz/A2. My Eyes/A3. Animals Dance/A4. Alone In The Jungle/A5. Sommer 80/B1. Funky Punk/B2. Moskau/B3. Waiting For A Light/B4. Grauzone. On oscille entre les styles, on sert à tout-va du morceau fatal. Grauzone est roi, sa ressortie incontournable. Notons que sa version la plus complète intègre un poster et un fanzine de 80 pages, une autre un sweat du groupe. Chanceux sont ceux qui, à l’affut, ont pu en faire l’acquisition. L’objet prouve avec brio qu’en cette ère foisonnante, la créativité était à son zénith.
Le plaisir est immense, l’écoute se fera en nombre et à volume « majoré », histoire de bien faire ressortir toutes les richesses du coffret. On applaudit donc l’idée de WRWTFWW Records, la structure porteuse du projet, pour ces heures de félicité totale et prolongée. La maison de disques helvète, plutôt orientée jazz à l’origine, est elle aussi ouverte, plurielle, d’un goût sûr. J’en veux pour preuve, adjoint à ses autres « releases », ce Limited Edition 40 Years Anniversary Box Set généreux, plein à ras-bord de morceaux à la valeur inégalable.