Après Come play the trees (septembre 2017) puis Stunning Luxury (mars 2019), autant de signes de leur différence sonique et de leur groove mutant foutrement attractif, les londoniens de Snapped Ankles récidivent avec Forest Of Your Problems, patchwork tout aussi barré où post-punk serpentin et exotisme, touches tribales et bazardages à la Talking Heads s’acoquinent, joyeusement et en faisant feu de tout son, pour engendrer un nouvel opus à part. Le son Snapped Ankles, amorcé en l’occurrence par le titre éponyme. Cascade de percus, bruits loufoques de toutes sortes, imaginatifs. Incrustes bruitistes. Le début est à la fois psyché, agité, spatial et vrillé. On reconnait désormais, immédiatement, la patte Snapped Ankles. The evidence, comme pour corroborer mes dires, s’endiable et lâche des nappes à la Doors/Suicide. La recette est infaillible, elle assure de plus un rang hors-cadre à la formation anglaise. Il n’est guère envisageable de le contester, celui-ci se réitère selon une qualité et une régularité qui en valident la teneur. Shifting Basslines Of The Cornucopians, aux syncopes synonymes de danse folle, laisse filtrer des lézardes sonores maison, d’un genre qui ne se définit pas, joliment cuivrées.
Plus loin Undilated Lovers, riffeur, bourru, referme la trappe. De l’univers Snapped Ankles, rare sont ceux qui veulent s’extraire. La clique déguisée n’a de cesse de se démarquer, d’inventer, de défricher. Elle groove a tout-va, rafraichit singulièrement le paysage musical actuel. On l’en loue, il est bon de s’enticher de ses sons et textures. Susurrations (In The Forest) calme un peu le jeu, titille le psychisme par ses sonorités haut perchées. Un brin jazzy, mais de manière free, il lance des spirales volantes, acidulées, qui elles aussi agissent sur l’esprit. Forest of your problems dépayse, instaure du neuf. Rhythm is our business, prétend le morceau suivant. Personne n’en doute: la chanson est…rythmée, fougueuse tout en se parant d’abord à nouveau aériens, légèrement orientalisants. Le trip, pluriel dans ses formes, se poursuit. On n’en décrochera pas, happé par le flux Snapped Ankles et ses créations en marge des tracés connus.
Psithurhythm, tout aussi psychiatrique, funke et séquence grave. La danse en résulte, ponctué par une basse obsédante, bien en chair. J’adore, Snapped Ankles fait partie de ces groupes que je ne partage qu’avec les audacieux, prêts à trépigner devant les formules inédites. S’il la répète, certes, depuis plusieurs disques, le clan parvient à ce qu’elle reste non seulement surprenante, mais aussi passionnante et bougrement ondulante. Son brio sonique est à saluer, sur ce Forest of your problems on change à l’envi de direction. Ces derniers temps il n’y a à ma connaissance et dans les contrées britanniques que Squid, auteur lui aussi d’un album de tout premier ordre, que l’on puisse rapprocher -dans l’esprit et, dans une moindre mesure, le contenu- de Snapped Ankles. Xylophobia, pour finir ou presque, commence nébuleusement. Il grimpe, s’élève, puis kraute magiquement. Le mental, une fois de plus, est mis à contribution. C’est ce que l’on cherche, bien souvent, à l’écoute d’un disque. D’être déstabilisé, arraché à notre sphère, propulsé dans des recoins frappés et ingénieux.
Avec ces dix titres, on en a pour notre argent. Je m’y attendais, toutefois je reste scotché par le savoir-faire de ces déviants bienfaiteurs du son. En fin de trip c’est Forest Of Your Problems (Outro), dont les motifs « prennent la tête » -j’entends par là, créent l’addiction-, qui se charge d’initier une ultime montée vers l’azur. Serein, il permet la redescente, nécessaire après une épopée mouvementée que nombre de fentes soniques et motifs captivants ornent jusqu’à la rendre définitive. Forest of your problems, que je serai tenté de rebaptiser Forest of your pleasure, sacre ses géniteurs, vis à vis desquels mon seul regret tient dans le fait de ne jamais les avois vus à l’oeuvre en live. Au vu du répertoire dont ils disposent, c’est de manière sûre un temps fort, un espace d’évasion à l’instar de cette galette parfaite et enthousiasmante de son début à ses dernières salves démentes.