Lunatraktors est un duo basé à Margate, dans le sud de l’Angleterre. Carli Jefferson (Vocals, Drums, Hand Percussion, Bowed Cymbal, Tongue Drum, Clogs) et Clair Le Couteur (Vocals, Harmonium, Melodica, Whistles, Korg Monologue, Piano, excusez du peu) y officient et se vouent à la cause d’un folk déglingué, autrement dit « broken folk », constitué d’éléments disparates et tournant résolument le dos à toute forme d’attitude « high tech » ou sophistiquée. The missing star est le deuxième album de la paire, il dévoile treize titres de ferveur et d’imagination dans le son, unique, comme dans l’étayage qui en est fait. Des airs trad’ donnent du cachet à l’ensemble, qui n’en manquait déjà pas et s’amorce avec un Rigs of the Times qui d’entrée de jeu suscite une accroche forte, développant de surcroît des abords personnels.
L’union des voix apporte du coffre, le genre s’évertue à transcender, avec maestria, le style folk. Celui-ci ne pourra suffire, d’ailleurs, à dépeindre le tableau ici dressé. Lunatraktors va au delà, crée son propre registre et l’alimente d’une pluie de sonorités qui en asseyent la portée. On l’écoutera, presque, religieusement (My Witch). This is broken folk, en 2019, avait déjà révélé toute la teneur de Lunatraktors, l’amenant à jouer partout où c’était possible, fût-ce en lieux improbables. Marqués furent les esprits, aujourd’hui un disque splendide vient ponctuer l’avancée du projet.
Photo Paul Emery
Le Lover lover lover de Leonard Cohen est magnifiquement repris, selon une « tribal-folk » (je viens de l’inventer) renversante, suivie par Mirie It Is (Anemoia) où le chant suffit, à lui seul, à remplir l’espace avant que des motifs à nouveau magiques s’en viennent typer le tout. Le voyage s’étend, The missing star n’a de cesse de nous arracher à notre confort pour nous faire découvrir ses recoins et sa nouveauté, élaborée à partir de l’ancien. De ce dernier, Lunatraktors extrait la marque pour, en y adjoignant sa patte, son don pour la créativité, l’affubler de formes actuelles. Le titre éponyme scintille, on relèvera là et comme partout ailleurs le racé du décor. Des thèmes d’intérêt, en sus, sont abordés (fake news, « spécialistes de tout », enseignement daté, corruption, salaires de misère..). Ca campe plus encore, bien entendu, les solides bases d’une rondelle passionnante.
Sur Drone Code, un fond sombre s’invite. L’ambiance est noire, des cloches y sonnent, hagardes. Même sur ses formats courts, Lunatraktors parvient à capter l’attention. The Keening laisse libre cours au chant, au relief et à l’expression impressionnantes. Si le répertoire, parfois pioché dans un passé reculé, date, il est ici relifté avec une dextérité peu commune. Qu’il opte pour un déroulé exalté ou, comme ici, s’ épure, le duo nous lègue des pièces profondément envoûtantes. Son panel instrumental fait de The missing star un disque pluriel, jamais linéaire, aussi sobre qu’en d’autres endroits exubérant, (joliment) bruitiste même. Unquiet Grave s’agite, se sous-tend, célèbre l’alliance de la beauté et du tintamarre. En bordure surgissent des sons obscurs, un rythme convulsif. L’atmosphère, encore une fois, est saisissante et palpitante. En ce mois de juin, nombreuses sont les sorties en marge (Orchestre Tout Puissant Marcel Duchamp, le Ceramic Dog de Marc Ribot, Mick Strauss, /A\ etc…); The missing star en est, assurément. The Exciseman fait son Tom Waits, vocalement son Primus. Nos deux trouvères britanniques du siècle en cours, complètement bluffants, quittent les rails à l’envi. Broken vous disais-je initialement…
16,000 Miles, tout en marquant l’arrivée à la dizaine de morceaux, ceci sans aucun fléchissement, impose lui aussi ses vocaux au timbre variable, quasi théâtraux. Il y a du relief, des aspérités aussi, dans ce disque que je ne peux me retenir, compulsivement, de glisser dans mon lecteur. A chaque écoute, j’y découvre de nouvelles choses. Des petits détails, des phrasés qui amènent encore au petit plus déjà remarqué. The Madness That Soothes tinte et impose ses teintes, un peu court pour entièrement persuader. The Blacksmith file les manettes aux vocaux, forcément en phase…et déphasés, merveilleusement déphasés. The missing star est en tous points abouti, imprévu et singulier. On s’incline devant sa performance, on loue son esprit délibérément défricheur. Il nous reste alors une ultime perle broken folk à déguster, elle a pour nom Ecclesiastes 1:1-18. Clair Le Couteur s’y fait crooner, l’étayage y est à nouveau réduit. A sa plus simple expression et, par conséquent, grandement impactant. On y entend rage, émotion, sensibilité. Tout ça mêlé par une musicalité stupéfiante, fil conducteur d’un second disque avec lequel nous nous apprêtons à passer la majeure partie, au minimum, de notre temps estival.