Mais comment ai-je pu, suite à ce magnifique Rotorotor (avril 2014), rater Sauvage formes (avril 2018)? Je me le demande encore, heureusement il me reste le Bandcamp du clan de Genève, et surtout ce We’re ok. But we’re lost anyway magnifique, digne de ce que l’ensemble dirigé de main de maître par Vincent Bertholet (Hyperculte, pas des rangés non plus donc, on s’en serait douté) peut faire gicler en live, pour rattraper l’erreur. Ayant eu le plaisir de voir aux Scènes d’Eté de Beauvais, en juillet 2015, le gang helvète, je sais « qu’est-ce que j’dis ». L’opus, libre et aventureux, comme de coutume, se classe chez moi auprès du nouveau Marc Ribot, dans le rayon des oeuvres en marge.
Il délivre neuf lingots musicaux, cuivrés et nerveux, aux ruades guitaristiques sauvages (Empty skies), et s’amorce sur une phase cordée du plus bel effet, pour imposer ce Be patient dépaysant, aux airs d’Oiseaux-Tempête. Le chant vient se placer, aérien, couplé à des sons inquiétants, à une trame lancinante qui pourtant captive bien vite son auditoire. Magique. A nouveau, les bruits addictifs pleuvent, le climat s’avère prenant et ensorcelant. Empty skies, cité plus haut, offre une valse cuivrée agitée que les guitares viennent transpercer. Jazz-noise, diraient certains. On s’en fout un peu, c’est l’ Orchestre Tout Puissant Marcel Duchamp et d’emblée, ça nous assure une issue singulière et inégalable.
So Many Things (To Feel Guilty About), exotique, fait son The Ex. Il marie les chants, groove funky et riffe wild. Il est tumultueux, tribal et sans règles préétablies si ce n’est celle, primordiale, de laisser libre cours à son instinct et sa créativité. Des vocaux narratifs, proches du débit hip-hop, s’incrustent. Le côté brass band est de mise, il se frotte à des atours sanguins et renvoie une p***** de splendeur. Ici, de toute façon, la beauté sauvage émerge de partout. Blabber parait poser le jeu mais son fond part quelque peu en vrille, depuis ses loopings de cuivres et cordes, avant de retrouver une forme de sérénité. We Can Can We le suit avec sa dégaine de fanfare du bout du monde, bien mise et surtout bien jouée, qui louvoie et, ici aussi, brille vocalement. Ces Suisses font remuer les cuisses, inventent et perpétuent un répertoire qui leur revient de droit. Flux regorge de ces sonorités astucieuses, laisse à entendre des voix en opposition, des riffs crus et secs. C’est à nouveau imparable, les motifs se situent au delà du simplement beau. Il existe une symbiose, dans l’Orchestre Tout Puissant Marcel Duchamp, qui place ses sorties et prestations live à un cran élevé.
L’union vocale, comme sur Connected, fait son oeuvre. Elle magnifie le tout, lui donne du cachet en plus. En fin, ou presque, de parcours, Beginning évoque un Deus plus désorientant encore, plus « world », si on peut dire. Entrainant, il oblige à la danse. Depuis les premières envolées, « anyway », on se trémousse, de joie, au gré des notes de ce disque merveilleux. Celui-ci prend fin sur une oeuvre brève mais louable, intitulée Silent. Une mélopée cuivrée au parfum d’ orient qu’à mon sens, il aurait été judicieux de pousser plus en avant. Qu’à cela ne tienne, l’ Orchestre Tout Puissant Marcel Duchamp nous revient avec un We’re ok. But we’re lost anyway impeccable, embrasant et excitant. Un album de splendeur et de tension, bridée ou libérée, à la hauteur des talents conjugués d’un collectif -le mot, ici, est loin d’être vain- soudé, dépositaire d’un vocable que beaucoup peuvent lui envier.