Chez les Young Gods, trio helvète électro-indus (et bien plus) que d’aucuns tentent encore d’égaler en singularité, on aime à surprendre. C’est aussi le cas, en toute logique, au sein des projets extérieurs de ses membres et après Bernard Trontin, le batteur, qui gère November avec Simon Hugh Jones d’ And Also the Trees et le multi-instrumentiste Arnaud Sponar, pour un rendu envoûtant au possible, c’est le leader Franz Treichler qui s’émancipe du mythique combo de Fribourg. Il s’associe en effet, sous le nom de /A\, à sa compatriote Emilie Zoé, chantre de l’indé Suisse (un excellent The very start, 2018), et son batteur Nicolas Pittet. A trois et dans l’alliance non seulement générationnelle, mais aussi stylistique, les cultures se percutent, les genres s’imbriquent, les voix se répondent et des contours nouveaux émergent. Chacun y met du sien, au service bien entendu d’un ensemble où personne ne tire la couverture à lui.
Il ne s’agit pas, en l’occurrence, de faire du Zoé bis ou du Young Gods bis. On s’emploie à inventer, à se réinventer, à croiser le fer et les approches. En résulte, captivant, ce disque éponyme aux sept titres sacrément ensorcelants. Il prend jour dans une tension lancinante à la parure sombre parée d’un chant « à la Zoé », songeur (Hotel stellar en ouverture). D’emblée l’atmosphère, aussi légère que menaçante, engendre une accroche forte. Des scories psyché en fusent, comme chez les « Gods » des effluves psychotropes délicieuses s’échappent et nous happent. La voix de Franz, ici céleste, reconnaissable entre mille, ajoute à l’attraction qui déjà resserre son étau. Grain sand and mud, mid-tempo finaud à la rugosité bridée, instaure des montées sous formes de vagues douces mais impétueuses. La frappe sûre du sieur Pittet charpente le tout, d’un rock écorché/sensible.
Avec We travel the light, où des stridences façon Young Gods percent l’azur, Franz susurre et stimule l’imaginaire. Emilie, d’un organe mutin, assure le parfait complément. Vocalement, soniquement aussi, gorgé de guitares sauvages, pesant et rougeoyant, le morceau livre des saillies sans compromission. Il breake, direction les cieux. Puis ses zébrures, associées à l’impact des chants, emmènent /A\ plus haut encore. On en est à la moitié des festivités, à l’amorce d’un Fire in my fingers où les guitares, à nouveau, lacèrent et bruissent de manière originale. On trouve, on pense, des sons et climats dont les textures font de l’opus en présence un effort passionnant. L’entrelac de chants et de sonorités, la succession des tons employés font qu’il est vain, inconcevable même, de fuir le rendu. On y trouve, tout à la fois, nouveauté et identité.
Photo Mehdi Benkler.
Count to ten, loukoum musical chanté par Zoé avec une superbe délicatesse, plane ensuite sur nos sens, qu’il flatte et apaise. Ce morceau est un délice, une pépite de subtilité aux abords dreamy, de qualité optimale et d’un apport certain à /A\ dans le sens où il en étend, magnifiquement, la portée. On revient ensuite à une traversée de la nébuleuse, groovy et ondulante, nommée The leaves. Comme sous produit, sous perf’ de /A\, l’auditeur capitule. Des nappes nuptiales, chants à l’union saisissante et sonorités grésillantes s’accouplent, on se situe pour le coup sur la brèche tant le climat, tendu, menace de rompre. C’est en ça, et entre autres, que l’emprise de /A\ est si poussée. A l’heure où on attend la rupture, Franz amène un surplus de céleste. On décolle où plutôt, ça fait bien longtemps qu’on a quitté nos bases, portés par un opus à part.
On ne doute alors plus, si tant est qu’on ait pu le faire, de la légitimité du projet. Au vu des artistes impliqués, ç’aurait été pour le moins déplacé. On profite à plein d’une dernière pièce intitulée Our love is growing (tu m’étonnes…), saccadée, qui sans empressement prend possession de nos cortex. Spatial, jonché de bruits acides et inventifs, l’instrumental va se percher dans des cieux faussement avenants, annihilant toute tentative de redescente. L’écoute de /A\, profondément et intensément immersive, n’est pas sans conséquences. Celles-ci provoquent en effet un risque accru de dépendance, que les auditions répétées rendront, à court terme, incurable. /A\, pour un premier jet, place la barre très haut, à un niveau somme toute digne de celui qu’ont atteint ses géniteurs au cours de leurs carrières respectives. Dépositaires d’un registre rénové, ils débutent en se dotant d’un disque de haute volée, dont on espère qu’il marque le point de départ d’un parcours fourni.
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