Un best-of de 27 titres, en cd, dont 4 morceaux récents et nouveaux, et deux vieux inédits. Une BD signée Half Bob, dessinateur fan d’indie-rock chargé par la riot grrrl stephanoise de retranscrire, via le dessin donc, les mésaventures de la dame lors de sa tournée anglaise, en juillet 2015 (maladie chronique aux reins l’ayant entrainée dans une autre tournée, bien moins plaisante: celle des hôpitaux anglais). Voilà ce que proposent, conjointement, We Are Unique! et les éditions Jarjille. Un bel objet, ça ne se conteste pas. J’irai jusqu’à dire un must, connaissant le coup de crayon du bonhomme et l’adresse de Raymonde à nous trousser, depuis 2006, des petits hymnes indés à la hauteur des grands et grandes de sa mouvance. Tout en conseillant bien entendu, au public averti, l’acquisition de l’ouvrage, c’est sa partie sonore que je décrirai ici après m’être imprégné, avec délices, de l’effort magnifique d’Half Bob.
On est parti pour un recueil, ça va sans dire, fourni en titres de marque. Il ne tolère d’ailleurs que ça: chez Raymonde, l’indé est un mode de vie et The naked line, sur un canevas fin au rythme sec et sans chair, ramène le quidam au bon souvenir d’une artiste à classer parmi les plus vraies de notre scène. Pam,papapapa pam pamm, c’est trop bon et ainsi résonne Quarantine blossoms, courte pièce indie-folk majeure et figurant au rayon des inédits bien lo-fi. Alors que Of flesh and bonds, rythmiquement nerveux et plus court encore, chatouille Shannon (Wright évidemment) et Polly Jean sur leur terrain habituel: celui d’un rock écorché, indé, j’aime à le répéter, débarrassé de tout fard et poids en trop.
J’en oubliais, exalté, qu’il y avait ici du nouveau. Je distingue toutefois le tout, n’y décelant rien qui se « fissure ». Stay with me, de voix typée en trame réitérée jusqu’à l’obsession, louche vers les Young Marble Giants. C’est dire le niveau des compositions, balafrées à la passion. Et qui, fortes d’une multitude de gimmicks fatals et sonorités brutes ou lunaires, font mouche sans peiner. La durée restreinte de bon nombre de morceaux permet en outre un impact immédiat et définitif, comme le génère The sculptress ou encore Staring at the moon qui le suit. Indé un jour, indé toujours. Rock aux premières heures, rock jusqu’au bout du parcours. Quinze ans déjà, marqués par cette doublette merveilleuse. Il doit se régaler, le Half Bob, en feuilletant ses pages tout en se gavant du son de Raymonde. The Raincoats are here, en plus. Alors tu parles si c’est bon, si le répertoire vaut non seulement notre attention, mais aussi toute notre estime d’auditeurs gagnés à la cause de Raymonde Howard et de la sphère en marge qui est la sienne depuis des lustres.
Photo Eric Segelle
Penekini kill, clin d’oeil à qui vous savez -si, justement, vous êtes un-une vrai-e-, marque à nouveau la vérité, l’implantation dans la nébuleuse indie. Entre lo-fi, rock saignant et touches folk, le discours est entièrement maîtrisé. Song to shoot him est urgent, punk dans l’énergie, à nu ou presque. No hope, just despair, nouveau, est lui aussi dénudé. Ca lui va bien, à Raymonde. L’absence de flambe, de démonstration. Etre et ne pas paraitre.A breath in the closet, datant de 2008, complète d’ailleurs la brochette de « new songs » sur un ton folk ombragé. Ebony submarine présente des guitares crues, des tons psyché/acidulés. Half happy se conforme à l’option « 2021 », sobre et, comme à l’habitude, imparable. L’idée, est-il besoin de le rappeler, de créer The Year Loop Broke (ce n’était pas, pour le coup, 1991) est brillante, judicieuse, porteuse de A à Z. Double dare, do marie soubresauts rythmiques et notes à l’empilement derechef entêtant. Il est remonté, piquant dans ses mélodies. Angry ballerina renvoie le même impact, soutenu. Une fois encore, les sons addictifs pleuvent. Who’s got the girls voit Raymonde scander, dans le décor on pense à nouveau aux Young Marble Giants de Stuart Moxham. Le morceau s’emballe, nous aussi. Punktuality instaure le Français dans le chant, riffe et trace. Du tout bon, il ne saurait d’ailleurs en être autrement. Brooke Shield’s alphabet lie finesse et urgence, traits rock délibérés et énergie de bon aloi.
Plus loin, Free my legs ressort du placard où depuis 2008, il « reposait ». Vif et bavard, il ne faillit pas. C’est même tout le contraire: à côtés des titres tirés des albums trônent de vraies perles. Release the evil est également posté entre sensibilité et vigueur débridée. Between the lines, le plus ancien des morceaux offerts, démontre qu’à l’époque déjà, on façonnait du solide. On pense au Diabologum des débuts, très lo-fi, ou encore au Dionysos de la même époque, quand Malzieu et consorts se la jouaient tout aussi « désappé », sur la majorité des chansons. Terrortits crépite, groove grave. Great minds think alike associe les voix, s’appuie sur des notes qui captivent, un rythme marqué. On ne compte plus, sur The Year Loop Broke, les créations éclatantes. A l’heure où bien des compils’, stériles, sonnent le creux, celle-ci nous ravit sans coup férir. Généreuse, originale, elle sonne juste et se déploie sans le moindre faux pas. Harsh love menace, mais n’implose pas. Il gronde pourtant, avec brio. Il m’évoque les Breeders le jour, précisément, de l’anniversaire de Kim et Kelley. Chemical in need permet une terminaison -ou presque- probante, où les chants s’entremêlent.
Enfin Almost go unnoticed, haletant et obscur, douloureux dans la voix, s’en vient finir le travail pour couronner, s’il était encore besoin, quinze ans d’activité passionnante. D’une épreuve, Raymonde Howard a su faire acte de résilience qu’elle a littéralement, en faisant le choix d’un double support, transcendé pour poser une nouvelle pierre, décisive et attrayante à plus d’un titre, à son parcours artistique qu’il importe de citer en référence quand on évoque la vérité dans l’attitude et dans la manière d’appréhender la création musicale. Merci Raymonde, tu mérites amplement un « Howard » de l’indé pour l’ensemble de ton oeuvre.
Bandcamp We Are Unique! Records / Site Raymonde Howard / Site Half Bob