Londonien, Squid sort avec son Bright Green Field l’un des albums les plus excitants du moment. Son tout premier, et pas des moindres. Ceci après, entre autres, un EP nommé Lino et remontant à septembre 2017. Louis Borlase, Oliver Judge, Arthur Leadbetter, Laurie Nankivell et Anton Pearso, les cinq Englishmen à la tête du projet, se sont rencontrés par le biais d’un goût commun…pour le jazz et l’ambient. Deux genres dont on ne ne retrouve quasiment plus la trace sur l’opus décrit ici, la clique ayant depuis ses débuts très largement enrichi son background. Pour le meilleur car vraiment ce disque, entre Talking Heads et Gang of Four mais à la sauce Squid avec, de temps à autres, des inflexions vocales façon Sloy qui réjouiront les fans d’Armand Gonzalez et consorts, est une pépite variée, éclatée parfois, éclatante aussi, à l’effet ineffaçable. Porté au pinacle par de nombreux médias -c’est, cette fois, justifié-, le quintette débute au son d’un Resolution Square trop bref, mais qui laisse place à la première giclée jouissive du lot: G.S.K. Uppercuts cuivrés, voix narquoise, cinglée, groove funky aussi lascif que bondissant. Fichtre! Les épaules, déjà, bougeottent sévère. Les guitares déflagrent, oh tiens!, il y a aussi du jazz dans ce début terriblement addictif.
Comme si ç’était encore trop peu, Narrator ft. Martha Skye Murphy vient ensuite serpenter, comme un Radio 4 qui se serait enivré au Remain in light. Imparable, furieux, dansant au possible. Le tout sur huit minutes, avec en guest une voix féminine qu’on ne peut passer sous silence. Et des sautes d’humeur, des salves sonores, de qualité supérieure. Boy racers, dans cette même versatilité apparemment un poil moins bondissante, réitérant la performance. Mais où s’arrêteront-t-ils? Cassure spatiale, puis terme psyché bien frappé. On est loin, très loin, de l’insignifiance. On est plutôt dans l’excellence; Paddling la tutoie d’ailleurs, ou la surpasse, vous vous ferez votre avis. Il trace et valse, dégomme et défrise. Mais où vont-ils, ces Squid au génie récurrent, chercher de telles pièces?
Dans l’talent, dans la différence. Dans l’ouverture, dans le refus de faire comme tout un chacun. Documentary Filmmaker, qui commence dans un ton jazz répété, brise sa dynamique et…se fait vocalement fou. Ses cuivres reviennent, magiques. Puis la fin arrive, sereine. 2010, de passages cools en explosions noise, complète le tableau sans choir un seul instant. On n’en demandait pas tant, il est aussi racé que sauvage. Squid saute d’un climat à un autre, il le fait avec un naturel désarmant. The Flyover, en à peine plus d’une minute, fait place à des cuivres free. Peel St. lui emboite le pas, en morceau qui, lui aussi, oscille entre énergie folle et temps de tempérance un brin psyché, complètement secoués. Et nous avec, ce dont on ne se plaindra que fort peu.
Bright Green Field, vous l’aurez compris, n’est pas un coup d’essai: c’est un coup de maître. Global Groove le fait jazzer, dans l’insanité mentale et musicale. Dans la beauté, tout autant, quand les cuivres y vont de leur intervention en phase avec le chant et le reste de l’instrumentation. On est repu, c’est à ce moment précis que Pamphlets vient conclure, à toute allure et avec…allure, cette rondelle de tout premier ordre. On se trimbale, à nouveau et pour finir, entre relative coolitude et assauts pour le moins vitaminés, émaillées d’encarts splendides. La toute fin d’album, hurlée, instaurant un fatras démentiel. On est à ce moment, et depuis un moment, acquis à la cause de Squid, qui nous lègue un premier long jet jubilatoire et sans temps morts.