Après L’organisation (janvier 2019), premier album en vue, puis l’ep Démon (avril 2020), les deux frangins Tyran font leur retour avec La Mobilisation, qui aligne neuf titres difficiles à déloger, campés sur des bases rock qui oscillent entre diverses colorations et se montrent, souvent, percutants. Normal, ici on déboite l’actu, on balafre l’absurde. Une tension à la Virago se place dans le champ de tir, nourri (Le Bonimenteur). On a le sens de la formule, on est lucide et on dégaine vite. Il y a de quoi, en ces temps où tout incite à s’insurger. Leur révolte, à ces gaillards-là, date déjà; elle prend source avec Les années 20, premier morceau à l’intro rétro, qui suinte ensuite un rock groovy et nostalgique.
Du costaud déjà, dans le mot, dans le son, dans le riff. Pas de quoi faire cui-cui, les mecs le savent et optent donc pour du rentre-dedans décoré à la mélopée. Mais pas tout l’temps: ils breakent, tempèrent le tir, délaissent parfois la rafale au profit du coup par coup. Il n’empêche, l’amorce est tendue, bruyante, et met en exergue la mocheté de notre monde. La Mobilisation va fédérer, c’est sûr: les bordures électro agitées et guillerettes de JP Morgan, allumées par des grattes au souffre, font à leur tour la différence.
Il se tient bien, ce nouveau skeud. Il en lâche une palanquée (de skeuds), il marie, sur ce titre, les chants. Il scande, appelle au soulèvement. Marché noir…noir, saccadé, aérien aussi, dans ses volutes, dépeint un monde nouveau. Et loin d’être meilleur. Régression sociétale, fruit d’une politique dédiée aux richards. Pas aux René, ni aux Jacky. De quoi devenir Tyran. Quand tu vois ça…, comme dirait mon voisin. Tu t’insoumets, tu fais péter l’ire: Krachman vs la Femme Mouche t’y aide, il pulse et erre, fait du boucan, crache une fumée psych-kraut. Il y a des idées là d’dans. Plein. Le quotidien a une sale gueule, mais n’empêche pas l’inspiration. Qui, en l’occurrence, fuse de partout. On passe à ce bazar, Le bonimenteur, auquel Olivier Depardon en personne aurait pu contribuer. Il s’y serait retrouvé. « Près de toi, je m’attire les pôles comme un aimant… », « Tout va pour le mieux dans le malheur des mondes »; je m’égare, dans l’enthousiasme je le cite, le leader du trio grenoblois. Mais revenons à Nantes, où nichent les Frères Tyran.
Gare aux Tyran, justement, fait trainer ses sons. C’est le fouillis, un format court et incertain. Il débouche sur Alice et Jojo, au spoken-word distingué. Atmosphérique, un peu Gainsbourien dans le mot, soniquement vicié, il rime et prend des airs sombres. La voix de son maître, entre électro joueuse et rock tapageur, attendait son heure. Il crache du feu, grince, sent le noisy. On déblatère, encore une fois, avec une certaine expressivité. Excellent. Séquence synthétiques puis tir des grattes, à vue. Si t’es sur le chemin, tu prendras et t’en contenteras. L’album, sans failles, parcourt un bel éventail, sans faire trop de détails. Quand il en fait, ils sont bien faits. C’est un fait. La fin vient, c’est le titre éponyme qui s’en vient fermer la marche. Trois minutes de rock franc, dans un premier temps. Puis plus rentré, insidieux, orné de touches cuivrées. De la belle ouvrage, ambiancée, diversifiée mais cohérente de bout en bout.
Les frères Tyran, plus que jamais, mobilisent. Ils confirment, ici, leurs aptitudes. Leur identité aussi, désormais reconnaissable. Support, de choix, à la colère, La Mobilisation rassemble des titres réussis, remuants et loin d’être linéaires, dont la succession fait des ravages et accouche d’un disque aussi puissant que dansable ou pogotable.
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