Zurichoise, Gina Eté chante dans diverses langues, donne dans la pop « hybride », large, au spectre étendu, et fait preuve d’une capacité à accrocher qui fait de son premier album, Erased by thought, une merveille totale. Après l’EP “Oak Tree” (2019), qui lui valut des rapprochements hâtifs avec Björk et Sophie Hunger, l’ engagée -elle n’hésite pas, en effet, à évoquer l’injuste et à se positionner- tisse un registre personnel dont la subtilité, la finesse animée n’a d’égal que les divers encarts plus orageux qui le jonchent et le portent plus haut encore dans notre considération. Elle possède un timbre, une adresse dans l’arrangement, dans la succession des climats, dans le recours aux différentes langues chantées, marquants et décisifs.
On l’entend, déjà, avec Trauma qui met en avant les pensées oubliées d’un jeune Syrien. Chant doux, nappage volant, aérien, séquences ondulantes. Un fond grisé, un rythme discret mais insistant. On est pris, avalé par un morceau dont la fin, avec ses griffures de guitare, s’encanaille et s’acidule. En un seul effort, Gina Eté se met en évidence, instaure un répertoire qui élimine toute idée d’influence envahissante. Sur Lach Du Nur, on change de langue, on corde le tout. L’effet est similaire: d’une écorce racée, on passe à des instants de trouble délicieux. Eté met de la vie, des éclairs soniques forcément bienvenus, dans ses créations.
For Elsa, armé de notes obsédantes, attise le charme tantôt espiègle de l’opus. En caméléon vocal à l’emprise durable, la Suisse séduit: elle affiche imagination, dans les sons, dans le verbe, et ne rechigne pas à s’extraire des pistes initialement tracées. Ca prend sans forcer: l’atmosphère de Not Enough, pas loin d’un Elysian Fields, fait mouche à son tour. « Ohlalala, ohlalala, ohlalala, c’est magnifiQUE! », comme le chantait Arno du temps de TC Matic. All Or Nothing l’est, effectivement. Il renvoie, au delà de sa beauté d’apparence déliée, de l’âme, des soubresauts, des pulsions -de vie, de sons- qui contraignent à adhérer. Adhérer à ce Erased by thought réussi en tous points, que Rastlos et sa dégaine cabaresque à l’étayage bellot -c’est une habitude chez Gina-, paré d’un piano jazzy, amène à sa moitié sans faire les choses…à moitié. Machs gut, qui fait…du bien, suivant quand vient son tour une voie sobre, où chant et parure mesurée suffisent à charmer.
Nulle part, dans la foulée, ose le Français. On n’est pas au bout de nos surprises: d’abord finaud, le morceau s’envole et fait valoir des tons chatoyants. Troubleshooting, à sa suite, marie folk et cordes, allie les voix, puis s’emballe irrésistiblement, rudoyant. Splendide. Am Tellerrand lui succède, rehaussé par les cordes, encore, et bénéficiant de l’organe tout-terrain de l’auteure. Des coins d’ombre surgissent, la fin arrive. Alors Somnifère, vaguement trip-hop, pose ses secousses. Au mitan de la beauté, récurrente, et du tourment, il étend l’éventail hybrid-pop aventureux de Gina Eté. Une embardée arrive, elle marque superbement et assez rageusement le terme du titre.
Enfin Tired People, presque « déplumé » à l’instar de deux ou trois autres plages, borde dans la grâce -vocale et musicale-, de manière poignante, un Erased Thought sans défauts. Un album qui, s’il parait souvent posé, s’offre des incrustes déviantes, renvoie une magnificence constante et travaille sa matière sonore avec maitrise et ingéniosité. Le constat vaut aussi, d’ailleurs, pour l’artwork de l’album qui lui aussi, interpelle et retient l’attention tout en chatouillant l’imagination.