Après la sortie d’une 100ème référence, représentée ci-dessous, à adjoindre à un catalogue fourni et audacieux, Stéphane Sapanel, à la tête du label palois A Tant Rêver du Roi, répond aux questions de Will Dum…
1) Tout d’abord félicitations ! Plus de 15 ans d’existence, 100 références au catalogue ! Qu’est-ce que ça fait, d’en arriver là ? Quels sont d’après toi les « ingrédients » qui permettent de s’inscrire dans la durée en tant que label ?
Et bien merci beaucoup !
Je ne réalise pas vraiment car ces dernières années, j’ai sorti pas mal d’albums et les références s’enchainent les unes après les autres au rythme d’une dizaine de sorties par an. Je suis fier de ce que représente aujourd’hui le catalogue du label: beaucoup de groupes, de belles rencontres et des disques que j’ai pris plaisir à défendre. Je reçois aussi de nombreux messages de soutien ou d’encouragement et une belle reconnaissance du milieu, donc forcément ça fait plaisir et ça flatte un peu l’égo.
Je ne sais pas si il y a une recette pour durer, mais je fais en sorte de faire les choses de façon consciencieuse, avec minutie et passion. Un vrai travail artisanal qui porte ses fruits, ce qui permet là aussi de durer dans le temps.
2) A quoi renvoie l’appellation « A Tant Rêver du Roi » ?
Ca remonte à l’un de mes anciens groupes, au début des années 2000 (Savoy, Ex Sibyl Vane), c’est extrait des paroles d’un morceau écrit par Eddy Crampes. Nous cherchions un nom d’asso pour gérer les dates du groupes et les quelques cachets que nous avions. Ce nom est venu assez naturellement, j’aime bien l’ aspect onirique auquel il renvoie.
3) Votre 100ème référence est le « Bunker Bato Club » de Kourgane, qui voit le jour en vinyle pour la première fois. Est-ce dû au fait que Kourgane soit l’un des « fleurons » du label ?
Je voulais que cette sortie marque le coup et donne du sens à cette 100ème référence. Les Kourgane (Le groupe n’existe plus aujourd’hui) sont des amis de longue date et la première sortie vinyle du label était « Heavy », à mon avis leur meilleur album.
J’ai donc pensé à rééditer « Bunker Bato Club » qui était uniquement en sorti en Cd chez Amanita Records et Relax Ay Voo.
4) Qu’aurais-tu répondu à celui qui, à la création d’ ATRDR, t’aurait prédit 100 sorties ? L’espérais-tu secrètement, sans trop oser le « clamer » ?
J’étais bien loin de penser à ça, même si j’avais l’ambition de faire grandir le label et d’étoffer le catalogue de ce dernier. Petit à petit, avec un travail de fourmi, tout s’est mis en place naturellement et je me suis retrouvé à sortir des disques de groupes dont j’étais fan comme Ulan Bator, Kourgane ou plus récemment Kong et La Jungle. Un réel bonheur!
5) Si on gratouille la boite à souvenirs, à quand remontre la toute première parution d’ATRDR et laquelle était-ce ? Vois-tu des différences, entre cette période qui remonte à plus de 10 ans, et l’ère actuelle en termes de modalités de sortie d’un support et dans le fonctionnement d’un label ?
La première sortie du label était pour mon groupe Sibyl Vane, avec un EP « Prêt à Porter ». Mais je n’avais pas encore estampillé le disque avec une référence, donc on va dire que la toute première était une compilation, avec une pochette en sérigraphie « A Tant Rêver Du Roi Vol.1 », qui incluait des groupes comme Tapetto Traci, Les Yves, Prosperr, Tetsuo ou encore Les Hormones…
Au tout début, je fabriquais moi-même les pochettes à la main pour me démarquer et créer des objets à part entière. Quinze ans après, je ne sors quasiment plus de Cds, mais uniquement des vinyles donc forcément, ça change la donne.
6) De la même manière, quelle vision as-tu de la façon dont les gens acquièrent les albums en termes de support (vinyle, k7 ou encore cd voire streaming, depuis tout ce temps ? Quelle a été l’évolution, s’il en existe une, à ce niveau ?
L’engouement pour le support vinyle n’est plus à prouver, ces dernières années de plus en plus de groupes sortent leurs albums dans ce format. Par rapport à la façon de consommer de la musique, honnêtement je n’y fais pas trop attention et je fonctionne au coup de cœur. Autrement je n’aurais pas sorti certains disques qui étaient promis dès le départ à être des suicides commerciaux mais qui, pour moi, devaient exister d’une manière ou d’une autre.
Je sors également la plupart des disques en digital pour être présent sur les plateformes: c’est un peu plus indéniable aujourd’hui mais ce qui compte, pour moi, c’est le support physique et par association les concerts et les tournées pour vendre les disques et vivre la musique en live.
Je pense que les gens doivent vraiment soutenir la scène live, la création, les artistes et les petits labels au lieu de payer un abonnement sur Spotify (ou autres…) et d’engraisser ceux qui en ont déjà plein les poches via un système de rétribution totalement biaisé.
7) ATRDR est voué à une certaine forme d’audace musicale, souvent opposée dans son contenu aux produits « rangés ». Qu’est-ce qui vous a amenés à cette posture ?
Je n’aime pas les choses lisses et aseptisées, j’ai toujours voulu défendre des groupes des artistes en marge, qui avaient des choses à dire et qui étaient peu représentés dans les médias.
La ligne esthétique et artistique du label vient en grande partie de ma culture musicale et des groupes qui m’ont bousculé. Ce sont eux qui ont forgé l’identité du label. Certains labels comme Dischord, Touch and Go ou Constellation m’ont aussi influencé de par leur démarche.
D’ailleurs il y a peu de temps, j’ai eu un commentaire d’une personne sur les réseaux sociaux qui disait que A Tant Rêver Du Roi était pour lui le Touch and Go français, j’en ai presque eu la larmichette !
8) Que demandez vous, s’agissant d’éthique et de positionnement musical, à un groupe désireux d’intégrer le label ?
Je ne demande pas grand-chose aux groupes, si ce n’est avoir un coup de cœur à l’écoute de leur musique et ce petit coté DIY qui me tient à cœur et qui colle à l’image que je me fais du label.
J’aime les groupes qui ont une forte personnalité et qui sont un peu à contre-courant. En général, j’ai besoin de voir le groupe en chair et en os, d’avoir un contact humain et d’être sur la même longueur d’ondes. Un certain feeling quoi.
9) ATRDR est basé à Pau : y’a t-il dans la ville, et dans sa région, une scène ou des formations qui attirent votre attention ?
Pau a toujours abrité une scène musicale très riche dans beaucoup de styles, mais a parfois eu du mal à s’exporter. Depuis que je fais de la musique et que j’organise des concerts dans la ville, j’ai croisé pas mal de chouettes formations. En ce moment c’est un peu plus calme, j’ai l’impression que ça ne se renouvelle pas trop mais c’est juste une période: d’autres groupes vont éclore, c’est une histoire de cycles je ne suis pas inquiet. Le vivier existe…
Donc pour répondre à ta question, en ce moment il y a notamment Furie, Antigram, Kolman Skupp ou Grorr dans un style métal. Il y a aussi L’Envoûtante, un duo batterie/chant bien frais avec une proposition artistique étonnante et des textes bien léchés.
10 ) De qui se compose l’équipe ATRDR ? Avez-vous en tête, pour faire suite à votre 100ème référence, des projets précis ?
En ce qui concerne le label je suis seul maître à bord, par contre pour l’organisation des concerts nous avons une super équipe de bénévoles et techniciens qui sont efficaces et qui se bougent vraiment.
En ce qui concerne les projets, les prochaines sorties sont déjà dans les tuyaux; les nouvelles références vont partir au pressage dans les semaines qui arrivent.
Il y aura notamment le nouvel album de Luis Franscesco Arena « A Cool Breeze », l’album de Pretty Inside un chouette groupe du collectif Bordelais Flippin’ Freaks avec une superbe pochette signée Winshluss, Sol Hess & The Boom Boom Doom Revue et un EP de Nasty Joe.
11) As-tu déjà eu, dans ton parcours, des moments de désillusion ? Et à l’inverse, de grandes joies ?
Avec le label je ne peux pas dire que j’ai vraiment eu des déceptions, car je suis libre de mes choix et je fonctionne vraiment à travers les rencontres et les coups de cœur. Par contre, il peut m’arriver d’être parfois un peu déçu que certains albums qui en valent vraiment la peine ne rencontrent pas davantage de public car ils méritent vraiment le détour. C’est comme ça, c’est le jeu du DIY et d’une structure qui ne peut pas forcément mettre en lumière toutes ses sorties de la même façon pour des raisons de budget.
Cependant chaque sortie reste pour moi une grande joie, je garde la même excitation et le même engouement quand je reçois une nouvelle prod et quand je déballe les premiers cartons qui arrivent de l’usine.
12) T’est-il déjà arrivé de refuser certains groupes désireux d’intégrer ATRDR, et pourquoi ?
Malheureusement ça m’arrive régulièrement, d’une part parce que je reçois beaucoup de demandes, pas tous les jours mais presque ! Et d’autre part pour des questions de calendrier, comme je suis seul à bosser sur le label ça ne me laisse pas beaucoup de marge de manœuvre et je dois faire des choix pour que chaque disque puisse trouver sa place, et aussi ne pas trop m’éparpiller de façon à garder une certaine cohérence dans l’éthique et le travail fourni.
Je me retrouve donc à dire non à contrecœur, comme dernièrement avec le nouvel album de L’Effondras que je devais sortir. J’ai du, en effet, finalement du décliner la proposition car j’avais déjà pas mal de sorties sur le feu pour le deuxième trimestre 2021…
Il y a aussi la question de style qui interfère; il m’arrive de recevoir des demandes qui n’ont rien à voir avec la choucroute, donc je « botte en touche » rapido.
13) Existe t-il dans le pays des labels dont tu te sens proche dans l’esprit ?
Oui, là je pense à Kythibong qui possède vraiment un beau catalogue, c’est cohérent et artistiquement ça me parle. Nous avons d’ailleurs déjà sorti des disques en co-production. Il y a aussi Les Potagers Natures, Rejuvenation Records ou Teenage Menopause Records, entre autres structures dont l’approche et l’esprit correspondent à ma façon de voir les choses.