J’Entre Par Tes Yeux est le projet commun à Alice Dourlen (Folle Église, Chicaloyoh) et Julien Louvet (The Austrasian Goat, Death To Pigs, Malaïse). Deux comparses qui, à deux voix et à grand renfort de secousses indus qui se cognent aux murs, osent un premier album grinçant, angoissant, oppressant, aux vagues folles (Anyone Realize). Un opus qui susurre, craque tel un vieux vinyle (l’amorce de l’introductif titre éponyme), Entre par nos yeux pour ensuite nous vriller les écoutilles et propulser nos sens dans ses sphères dérangées. Le trip est hallucinant, les sons bruts et entrelacés. Le corps de ton corps, d’un électro souterraine aux voix embrumées, trace un sillon tourmenté.
J’Entre par tes yeux…pour ne plus ressortir, affairé à te déssoucher. On n’est pas tranquille, la paire Dourlen/Louvet nous arrache de terre en nous imposant un cosmisme trituré, bardé de chants douloureux. L’étau se referme, les sensations s’exacerbent. Ca sort de nulle part, stylistiquement parlant; ça ne se définit pas, je suis d’ailleurs bien en peine au moment de décrire, péniblement, le contenu. C’est l’écoute, immersive, déséquilibrante, qui prime sur toute prétention à catégoriser l’opus.
De las lilas, entre chant en Espagnol et vagues célestes obscures, désoriente à son tour. Plus on « chute », plus on s’entiche. Bien qu’intrigantes, les contrées visitées sont faites de textures qui incitent, obligent, même, à ce qu’on s’en imbibe. Tapage rythmique, loopings soniques acides s’acoquinent. Je suis saisi, agrippé. Gare à celui qui, ouvert d’esprit, plongera dans le puits; il y trouvera, sans nul doute, sa dose d’émotions fortes et au bout du compte, ne pourra s’y opposer ni s’en extirper. J’Entre Par Tes Yeux nous en met plein le cornet, Tendresse soviétique pose une électro-indus bruitiste et apeurante, alerte. Du jamais entendu, précieux, qu’on n’écoutera peut-être pas quotidiennement (quoique..) mais qui, une fois ingurgité, se refusera à nous délaisser. Pour ma part le mal est fait, j’ai replongé. Ce « foutu » goût, toujours, pour les sonorités barrées, les climats perchés et souillés. De ce point de vue, J’Entre par tes yeux est la réponse, parfaite, à mes besoins.
Chante blessure ferme toi bouche, en guise de final d’une noirceur inquiétante, remet de l’élixir dans le biberon. Le liquide est âcre, l’expérience se poursuit jusqu’à atteindre des sommets de démence…jubilatoire? Je n’irai pas jusque là, le rendu est globalement trop sombre pour inspirer ce sentiment. Mais sa poésie pour le moins amère, ses lézardes de sons de toutes sortes, ses atours indus et son électro droguée, mis bout à bout, engendrent l’addiction chez l’auditeur rodé aux terrains musicaux exigeants et sans rapport aucun à la norme. Singulier, J’Entre par tes yeux portera donc aux cieux, des cieux chargés et agités, à l’azur pas très sûr, ceux d’entre nous qui auront eu la bonne idée de s’investir dans la découverte de son disque.