Une virée rétro-futuriste dans la Yougoslavie du début des années 1980. Quand la novi val synthétique faisait la joie des jeunes socialistes modernes de Ljubljana à Skopje, en passant par Zagreb et Sarajevo et Belgrade, la capitale. Ceci malgré la crise économique et la peur des lendemains qui déchantent. Voilà ce que propose le label Coeur sur Toi avec Elektro Pioniri – Synthwave yougoslave (1981-86), au son des combos suivants (s’il vous prend l’envie, et j’approuverai complètement, d’aller fouiner en quête de perles « Yougo » d’un autre temps):
Grad – Gradsko Setaliste (Serbie, 1981)/Amila – Aladin (Bosnie-Herzégovine, 1985)/Zana – Ti si Neko Staro Lice (Serbie, 1981)/Demolition Group – You Better Stay Alive (Slovénie, 1986)/Borghesia – Divlja Horda (Slovénie, 1983)/Max & Intro – Beogradska Devojka (Serbie, 1985)/300000 V.K. – Policijski Hit (Slovénie, 1984)/DU DU A – Afrikanac iz Beograda (Serbie, 1983) [pour la face A].
Cice-Mace – Miloss Miloss (Serbie, 1981)/Katarina II – Treba da se Cisti (Serbie, 1984)/Šizike – Svemirski Cistac (Serbie, 1984)/Data – Ne Zovi to Ljubavlju (Serbie, 1984)/Beograd – Opasne Igre (Serbie, 1983)/Belo Belo – Ruzicasta Bluza (Serbie, 1984)/La Card – Jedno zbogom za Tebe (Serbie, 1985)/Bastion – Mesec U Solji (Macédoine, 1984)/Električni Orgazam – Bomba (Serbie, 1982) [pour la face B].
Le tout sous la forme d’une mixtape concoctée par Simon Rico, masterisée par Vincent Maurin, et illustrée par Loïse Alline. Pour, au total, une heure ou presque de sonorités « transportantes ».
On navigue ici entre sons froids, touches logiquement new-wave, passages offensifs et légèreté des volutes. Et surtout, surtout, un sens de la déviance qui fait d’ Elektro Pioniri un objet à posséder. A 5 boules la cassette et à prix libre pour l’album numérique, on aurait tort de faire l’impasse. Le seul « hic » tenant dans le fait que, les morceaux étant enchainés, il est assez ardu de distinguer tel ou tel groupe. Alors on honorera l’ensemble car il illustre, de manière continuelle et pour un intérêt optimal, l’étendue et la créativité de la scène d’alors. Oh, je reconnais Borghesia!, Locomotive d’un recueil passionnant, virevoltant, obscur également, en d’autres recoins plus ludique. Et diablement inventif.
Ca fuse de partout, géographiquement comme musicalement. Le synthé prédomine, certes, mais boucle à bloc et pour notre plus grand plaisir, au gré de trames variées. L’usage de la langue de là-bas amène, de surcroît, un surplus de déracinement. Sans se cantonner à la seule synthwave, féminin sur certains titres et on en sera bienheureux (le Miloss Miloss de Cice-Mace, exotique, espiègle et saccadé, un brin cold), Elektro Pioniri – Synthwave yougoslave (1981-86) nous bringuebale entre les styles, les vocaux, mais reste cohérent car à dominante, tout de même, new-wave et laissant la part belle aux « keyboards ». Il y a ici une pulsion de vie, une insurrection musicale, qui valorisent d’autant plus le bouquet de morceaux rassemblés. Place au son, comme vecteur de résilience.
De ce point de vue c’est réussi et même quelques décennies après, on fait mieux qu’apprécier: la vérité de l’objet, sa source singulière, son contexte et la valeur des chansons collectées en font un must incontestable. De passages nébuleux en secousses groovy aux basses funky ondulantes (Bastion qui clôt ou presque la face B, suivi par Električni Orgazam et son Bomba aussi vaporeux qu’explosif), d’instants planants en rebonds énergisants en passant par des canevas orientalisant ou des attaques post-punk nourries, on prend note de la largesse du panel, en même temps qu’on en estime l’imprenable qualité et l’esprit débridé, libéré de toute contrainte…tout au mois musicalement. Excellentissime.