Chez Skin Graft Records, basé à St. Louis, Missouri, on connait d’avance le programme musical, alléchant et différent. Ses sorties, complètes et plurielles, dévient à l’envi et offrent à l’auditeur un panorama sonore nouveau, teinté d’audace, authentique dans ce qu’il renvoie. Et sans concessions. Avec Tijuana Hercules, clan élargi ayant pour « gardiens du temple » John Vernon Forbes: Vocals, Guitars, Keyboards, Percussion, etc; Joe Patt: Drums, Percussion; Doug Abram: Sax; Mike Young: Junk; Arman Mabry: Bass et Tony Mendoza: Organ, Percussion, accompagnés par toute une ribambelle d’invités, blues, gospel, psyché et avant-garde sont déconstruits, malaxés, extraits de leurs bases pour générer des textures inédites et personnelles, foutrement inventives.
Mudslod and the Singles, nouvelle fournée possédée, en fait étalage et de manière logique le talent des musiciens, aiguisé par de longues années de pratique, leur permet de se mettre en évidence. Le bien nommé Atmospher, bien que bref, sert un gospel frémissant, déjà campé sur des notes écorchées. Puis ShaTooBog, lancinant, joue un blues d’époque tarabiscoté, rêche et lo-fi, alerte, du plus bel effet. Marécageux, poisseux et racé, le répertoire s’annonce relevé. Panther Crawl entérine mes propos, il trace et louvoie entre les genres. Aussi subtil que rugueux, stylistiquement indéfinissable, il convoque une voix cinématographique typée. Impeccable.
On l’aura compris, Tijuana Hercules n’embrasse pas la norme. Jehoiachin Released le voit « blueser » à nouveau suivant des chemins détournés, groovy, bancals et grinçants. Enfumés aussi, quand des scories psyché en émanent. La clique fait feu de tout son, bricole avec génie. Mudslod, d’une veine blues-rock loufoque et encanaillée, impose un magma sonore jouissif. L’ensemble se déroule dans la cohérence, malgré un côté éclaté évident qui, visiblement, fait le charme du groupe. On est preneur, en amateurs de rendus insolites. Love Lamp, bref comme le morceau introductif, sert d’interlude et lance Delta Alien, une composition bien frappée non seulement vocalement, mais aussi dans ses effluves spatiales et psychotropes. Tijuana Hercules ne fait rien comme personne et c’est ce qui en fait quelqu’un, une entité en marge donc digne d’intérêt. Chilanta, dépaysant, en atteste à l’aide d’un blues à l’élégance dépenaillée, vif et une fois de plus psyché en fond.
Après lui, The Way It Is démarre folk, lo-fi, et avance par saccades. On relève, à nouveau, des sons enivrants, bruts autant que fins. Un rythme marqué, de la classe dans la déviance affichée. De l’énergie, qui vient percuter le flux des sonorités emboitées comme un puzzle auquel manqueraient quelques pièces et qui, pourtant, aurait fière allure. The Back Half, cuivré avec panache, dément dans sa teneur, va en ce sens. A chaque morceau, on est blousé. Le tout est de plus musical à souhait, insoumis comme l’est Let The Burning Grass Grow. Un titre vicié, enlevé, semblable dans l’esprit à ce que peut faire un Jon Spencer dans ses temps de déjante merveilleuse. On approuve, derechef. Des envolées tordues, splendidement bruyantes, viennent border et pervertir l’ouvrage.
Sur la fin Fazed, Gassed, Far Flung, riffeur, inspire le même ressenti. Son chant est prenant, marqué, marquant. Le sax se distingue, encore. Mais c’est l’ensemble, l’alliage de tous ces « outils », qu’il faut relever et saluer. Rude, la chanson précède le terminal What Happened To Charles? Une dernière lampée gouleyante, gandine, vicelarde dans sa beauté. On est conquis, on n’a d’ailleurs pas attendu le terme du disque pour lui accorder notre crédit sans hésitation aucune. Le parcours fourni des intervenants les amène ici à une singularité captivante, illustrée par une sortie en tous points remarquable.