Duo de Würzburg, en Allemagne, Zement est à l’oeuvre depuis plusieurs années déjà. Rohstoff est son troisième album, taillé comme à l’habitude dans une étoffe kraut-psyché souvent enlevée, spatiale, que l’excellent Goa valorise de suite avec ses voix robotiques et sa cadence appuyée, matinée de sons qui agissent sur le mental. En se répétant, en montant en puissance, le titre introductif fait déjà briller les deux acolytes, visiblement prêts à en découdre et à imposer, à nouveau, un répertoire singulier. Soil, un brin plus direct et bien kraut, faisant valoir des atouts comparables en termes d’accroche, de « célestitude » et d’ambiances vivement prenantes. Si le format instrumental est de mise, il n’empêche guère une accroche forte, des fulgurances aux atours parfois orientalisants comme ça peut être le cas ici. Seine, plus lourd et saccadé, s’étend sur près de dix minutes. Pour le coup l’approche rythmique est différente, mais la parure identique. On s’envole, dans l’agitation parfois. Seine grince, s’obscurcit. Sa lenteur le rend d’autant plus pénétrant. On a réellement affaire, en l’occurrence, à un projet destiné à se démarquer.
Ainsi Kleiner 3, de chants d’oiseaux en sonorités qui embarquent dans un autre part, joue t-il une trame psyché convulsive, dépaysante, marquée par des incrustes jazz de toute beauté. Zement évolue dans une liberté qui lui permet d’atteindre les sommets. Zunder, pourvu comme Goa de chants « de mutants », lance un kraut teinté de touches jazzy, encore, et de sonorités qui virevoltent. Un saxophone fougueux s’intercale. Zement, c’est une certitude, innove. Entzücken, plus loin, se positionne entre allant et saccades, brumeux. Il envoûte lui aussi, hypnotise et passe à l’éther l’esprit de l’auditeur. Il dépasse les dix minutes, s’emballe, lâche des scories dub. Musicalement, Rohstoff est une pépite intégrale, audacieuse et cohérente. On ne s’y perd pas, il est certes nécessaire de s’immerger pour bien l’appréhender mais une fois l’effort fourni, ses effets sont définitifs. Ecke 54 amorce la fin des réjouissances à l’aide de bruits vrillés, puis vire en un essai haché, quasi tribal, de grande qualité.
Enfin Atem, histoire de finir sans fléchir, impose six minutes de kraut à nouveau psychotrope, qui finit comme souvent par s’emporter et s’adonner à un bruitisme du plus beau tonneau, ponctué en sa fin par des chants presque « normaux », songeurs. Zement, porteur d’une identité forte, a non seulement le mérite de renouveler les genres auxquels il recourt, mais aussi d’en assurer l’amalgame avec panache et assurance. Rohstoff, excellent de bout en bout, constituant donc le fruit de ses investigations incessantes, porteuses et passionnantes. Le tout chez Crazysane Records où là aussi, le son est insoumis et l’esprit opposé à toute conduite rangée.