Formé en 2020 par Jean et Mélissa, dont la rencontre s’est faite sur les bancs de la fac quelques années auparavant, Double Rivage vient de Marseille. Il trace sa route dans le DIY confirmé, et sort en ce mois de mars 2021 un album de neuf titres, éponyme, dont les ambiances drapées dans la rêverie, un brin cold, exercent un bel attrait et constituent, pour l’auditeur potentiel, un bel appât. Dès l’introductif En suspension, au gré d’une légèreté accentuée par l’usage habile des synthés, on est aspiré, bercé par une sorte de brise musicale à l’ombrage sécure. Double Rivage recourt, de plus, à des textes qui suscitent l’évasion, éveillent la réflexion, bercent leur monde avec leurs atours songeurs derrière lesquels peut se tapir un discours plus grave. Au revoir, dans un filage lui aussi faussement doux, acidulé, réitère une froideur aérienne qui permet à la paire de se forger un registre solide et, par là-même, un opus concluant.
Peu d’infos filtrent toutefois, on le déplore car il y a là, sans nul doute, de quoi retenir l’attention. Passé cet Au revoir qui incite à rester, La nuit en ville livre gimmicks de machines plaisants, organe féminin, comme de coutume, à la séduction certaine. Et, à nouveau prenants, des tons légers-alertes à l’effet bienfaisant, éthérés, joliment cold. Le tout est plutôt minimal, on l’en loue car c’est assurément le procédé le plus porteur, celui qui la boucle quand tout a été dit. S’il s’éparpillait, s’il s’épanchait, Double Rivage pourrait faire naufrage. Que nenni, il reste à flots et Ciel gris, d’une…grisaille, justement, indus dans certains sons, soutient efficacement sa progression. Le ressenti, à l’écoute, imprègne le quidam. Le terme du titre, angoissant, brut et fin dans le même élan, assied l’emprise de Double Rivage. Nulle part, marqué par un chant masculin réfrigéré, fait mouche à son tour et arrive à bon port. La voix de dame succède à celle di compagnon de route, l’alliage des deux est porteur.
C’est, réellement, l’atmosphère instaurée par Double Rivage, son agilité dans les sons et mots, qui le distinguent. Sa déviance aussi, mesurée mais assurée. Pour toujours, fort de sons 80’s, titille ma nostalgie. Il est pourtant actuel, Double Rivage tisse sa toile en puisant dans des mouvances certes diverses, mais son rendu est tout à la fois personnel et lié à l’époque en cours. Je les verrais bien, ces deux-là, jouant à l’Accueil Froid, dans ma ville. Le lieu, obscur, leur irait comme un Korg. Entre lancinance et passages plus emportés (Parle-moi, énième réussite vivace à la batterie plus « matraquée »), on s’y plairait sans rechigner. Fouineur inlassable, je me félicite d’être parti, il y a quelques semaines déjà, en quête de son « autre ». J’ai découvert Double Rivage, j’ai accosté et les contrées m’ont plu. Elles recèlent tout ce que j’aime: du vaporeux, des élans débridés, des airs redevables à l’ère des late 70’s ou des early 80’s. Des lisières cold, de la brume et une foule de sons dont on s’entiche. Froid dans le dos, en dépit de son intitulé, est presque guilleret dans ses notes de synthés. Il mêle les voix, file un coton doucereux mais aussi froid et souillé.
L’attraction, on l’aura compris, est constante. C’est Une autre chance, ultime salve lente et spatiale, qui borde l’album. A l’heure de la redescente, c’est plutôt une montée, ou plutôt une oscillation sans tapage mais dotée de légères lézardes, une flottaison aigre-douce, qu’instaurent Jean et Mélissa. Lesquels, à deux et sans apport extérieur déclaré, parviennent à modeler un album presque magnétique. Un ouvrage dont on risque, à mon grand dam, de ne parler que bien trop peu eu égard à ses qualités, discret qu’il est autant qu’il sait, de son début à ses dernières pulsations, charmer celles et ceux qui auront la bonne idée de le passer en revue.