Trompettiste-vocaliste mythique, Jac Berrocal s’est un jour entiché de Lifted Compass, EP publié en 2018 par la paire franco-américaine Riverdog, soit Léo Remke Rochard et Jack Dzik. Ces derniers ont, depuis, débarqué à Paris pour croiser le fer avec le féru d’expérimentation en tous genres. De leur rencontre nait aujourd’hui Fallen chrome, digne et turbulent rejeton musical. Dix morceaux explorateurs, déviants, truffés de sons fous et portés par une démarche sans direction prédéterminée, sans but précis si ce n’est celui d’exploiter les multiples pistes et possibilités émanant de leurs investigations sonores. Le rendu, bien entendu, est pluriel; Parcours cicatrice, chargé de l’inaugurer, projette son obscur dans l’azur. Voix incantée, fond tribal, sonorités astrales, rythme intermédiaire et couinements de la trompette du maître enfantent, d’emblée, un rendu peu commun dont la fin s’emporte et grince ouvertement. Entre tonalités du bout du monde, noise et bordure quasi indus, le trio est à son affaire. Deux approches, tout aussi éclatées l’une que l’autre, se donnent le change avec, à la clé, un opus sans pareil. Lint fire dépayse et interloque, fort de motifs réitérés. Exempt de chant, il précède le bien nommé Strange song. Un titre noisy, qui pulse et prend une tangente post-punk triturée dotée de bruits évoquant la vague des late 70’s. L’opposition entre les voix, entre l’alerte et le songeur, amène incontestablement un plus.
Le tumulte est délectable, free et agité. Loopings soniques, fulgurances récurrentes. Du tout bon à l’écart des cadres, suivi d’ A la frontière qui les a depuis belle lurette dépassées (les frontières…musicales). Fond aux soubresauts rudes, trompette presque feutrée…mais pas trop, on connait le Jac. La batterie déferle, l’instrument du sieur Berrocal l’accompagne dans ses échappées. L’électronique de Remke-Rochard fait le reste, elle nappe 10h22 dont la narration perchée évoque les brestois lunaires de Maman Küsters. Riche d’un parcours long non pas comme le bras, mais comme les deux bras, Berrocal a trouvé là, et à nouveau, les partenaires idéaux. Quasiment dénué de cadence, le titre est angoissant, dans son décor gris comme dans les mots qu’il souffle.
Plus loin se présente Sang facile-Prière qui marie, de manière dépaysante, encore, cuivres libre et textures inventives, décalées, traversées par des chants légers que relaient des textes narrés. Fallen Chrome vaut autant par ses lettres que par ses sons, ici en étroite corrélation. Unlearn, suivant une même trame parlée à l’étayage cinglé, électro-indus, brumeux également, voit l’opus sombrer, délicieusement, dans le loufoque « à aller chercher ». Car l’effort commun, évidemment, ne se livre pas de prime abord. Il importe d’être aguerri, persévérant, curieux et désireux d’aller percuter autre chose. Eloïse, où trompette aux confins du serein et élans ombrageux s’acoquinent, le permet. Ses chants derechef barrés épaulent ses souillures, soutiennent sa dérive. Entre l’ancien et les jeunots déjà bien pourvus, la symbiose est grandiose. Petit souvenir, aux hurlements déments, avance dans la nuit. On ne peut, à l’écoute, ne rien éprouver. Objet de sensations extrêmes, Fallen Chrome est fait de folie, de génie créatif bancal et détonnant.
Photo Margaux Rodrigues.
Passé ce trip déchirant, Un christ à Loctudy réinjecte du tragico-poétique dans l’ouvrage à trois. Expérience poussée, Fallen Chrome révèle des ressentis enfouis, marie bruit et temps désarçonnants avec un sens de l’assemblage, aussi pensé que spontané, qui en fait tout simplement l’une des pièces osées les plus prenantes à l’heure actuelle. Un album qu’on écoute et réécoute, en quête répétée d’émotions marquées.