D’Ulan Bator, entité avant-rock aux confins de la noise racée et du post-rock tumultueux -à moins que ce ne soit le contraire-, menée par Amaury Cambuzat et Olivier Manchion, il n’est pas concevable de nier l’impact sur le rock expérimental, mental aussi, colérique, de nos terres soniques. Alors quand reparait ce Ego: Echo né à l’origine en 2000, produit par Michael Gira des Swans qui en assure d’ailleurs les « backing vocals », en vinyle, il va de soi qu’on fonce tête baissée pour, à nouveau, se gaver jusqu’à satiété de ses plages obsédantes. En notant bien que d’autres galettes d’Ulan Bator, comme Nouvel air ou encore 2°, font également l’objet d’une nouvelle parution. Ceci par le biais du label Improved Sequence, de Bologne, où l’on trouve aussi Blurt, Xiu Xiu, King Gizzard & The Lizard Wizard, Bob Log III et bien d’autres artistes en marge. Cessons néanmoins le bla-blah, on veut des résultats et sur ce point, les neuf titres d’ Ego: Echo constituent sans nul doute le graal du rock insoumis, épris de liberté, dédaigneux des normes.
Hemisphere, post-rock certes, élégant mais menaçant, pose d’emblée un format long. Ca permet, agrémentée de mots épars mais significatifs, une accroche magique pour celui qui, et j’en suis, adhèrent sans conditions à l’approche du sieur Cambuzat. Les vagues du morceau, dont on sent que leur flux répété annonce la crue, se couplent à des quasi-murmures, lettrés. Lesquels, en se débarrassant de leur ornement troublé, occupent tout le terme du morceau…à répétition. Déjà conquis, on met les deux doigts dans la prise avec Santa Lucia. De la noise bruyante, dépaysante, qui breake avec douceur puis tranchant soudain. Le French Horn de Jean-Hervé Peron (Faust) orne occasionnellement l’ouvrage et ça aussi, ça s’entend sans déplaisir aucun. C’est de la grande oeuvre, c’est batailleur et magnifique. Etoile astre, convulsif, réitératif, nous en pet plein le pif. Magistral. Les chants, aux textes imagés, amenant un mot racé qui se confronte aux ruades noise dont Ulan Bator détient la recette.
Avec Let’s go ego! et sans souci d’ego Ulan Bator, hanté, obscur, se décline sur plus d’un quart d’heure. Pysché, presque dub en certains recoins, il pose un chant léger, un rythme syncopé. Très « free », plus que jamais même, le trip ainsi permis est de taille. Céleste, il gravit lentement l’escalier vers l’excellence. Le tout sans tapage, avec sobriété et éclat dans l’ornement. Avant son final, griffu, doté de chants qui se complètent entre incantation et ferveur possédée. Il y a du Swans dans ce morceau, renversant. Hiver, bien plus bref mais pas plus creux, narre et poétise. Ses tons trompeusement posés l’honorent. Il attire par sa beauté, impose à son tour un arrière-plan qu’on sent sur la brèche, proche du tonnerre. Mais non, on s’en tient à une retenue qui fait tout le charme de la chanson. Selva, pièce de durée réduite, arrive ensuite avec ses reflets jazzy brumeux/obscurs. C’est pour mieux lancer La joueuse de tambour, « post-ment » charmeur, au verbe susurré. Le rythme s’affirme, les vocaux restent tranquilles et évocateurs.
Fort de climats envoûtants, Ulan Bator signe un effort majeur. La chanson, en l’occurrence, se tend et vire au noisy façon Virago. En ces temps déjà, circa 2000 donc, notre scène était florissante. En voilà l’une des pierres angulaires, tant verbalement que dans le son, dans l’atmosphère ou encore dans sa force de frape. Soeur violence la fait onduler, serpenter. Sans violence ouverte, d’ailleurs, mais dans une flamboyance textuelle et instrumentale confondante. Son second volet se pare d’ombrage, tranchant avec son amorce.
Photo juliankrautboy.
Ego: Echo touche alors à sa fin. Echo, chargé de le boucler, offre alors dix minutes de conclusion barrée, déroutante, à l’élégance traversée de fulgurances. « Ferme les paumières, mon enfant », chante Amaury. Il y a de quoi, la rêverie est magique. On les rouvre, cependant, quand le terme se met à gronder. Le bonhomme a l’art de tâcher ses paysages, d’en esquisser les contours avec une adresse incomparable. L’issue bénéficie, à tout instant, de ses vertus d’écriture, de composition, de son cheminement sans entrave, pour s’élever vers les cimes de la création artistique. Splendide.