Rennais, Fange nous bastonne les tympans depuis plusieurs disques déjà et ce, à un rythme régulier. Sur ce Pantocrator qui inclut deux morceaux de durée étendue (une quinzaine de minutes chacun), Benjamin Moreau – guitars, machines, vocals, illustrations; Antoine Perron – bass, vocals et Matthias Jungbluth – vocals, lyrics, layout frappent fort, étirent leur investigations sonores et se situent en marge, plus encore, de tout courant connu et surtout, de toute attitude rangée. Noise, sludge, death-metal, indus beuglé et que sais-je encore. Puissance, mais jamais de brutalité gratuite. Impact, définitif. Encarts plus légers, de belle teneur. Dès le renversant Tombé pour la France, lourd-leste, au groove déchainé, on mesure la force d’un trio qui, outre la qualité de ses compositions, évolue et bien évidemment, ne fait rien de prévisible. Et parvient, malgré des temps de jeu conséquents, à nous maintenir dans l’écoute.
Logique, il n’est jamais aussi bon d’auditionner du son que lorsque celui-ci s’inscrit à contre-courant et nous déferle dessus au point d’annihiler toute forme de résistance. Un break brumeux survient, bien placé. Tapi dans la nuit, Fange riffe pesamment. Ses machines assurent des sons, et cadences, aux vagues fatales. Pantocrator est un rouleau-compresseur qui parfois s’emballe, se retient, pour finalement rafler l’adhésion de tous. J’entends par là ceux qui, l’esprit large et les oreilles ouvertes, affectionnent la différence. Entendons-nous bien.
Ils seront servis, rien qu’au terme de ce jet initial l’assaut Fange aura fait la différence. Agrémenté de trouées presque « célestes », de mélodies insérées avec cohérence, il produit un effet durable. Sa fin, séismique, assène les dernières taloches. Pour ceusses qui découvrent, et j’avoue en être, il va de soi que la trouvaille vaut son pesant d’écoutes. Les Vergers De La Désolation, entre chaos des machines et balisage de la basse, sous couverts de six cordes au napalm et de chants mugissants, valide à son tour l’ingéniosité des Bretons. Lesquels, en nappant leur ouvrage de samples imaginatifs, en asseyent l’emprise sur nos sens, défaits mais stimulés. Il est rare, je le répète, d’avoir affaire à de telles peignées musicales, frappées du sceau d’une réelle aptitude à composer. « This is ignorant music for the Educated Man« , peut-on lire sur le Bandcamp du groupe. La définition est juste, inspirée. Fange met les mains dans le cambouis et surprend, aussi, par des textes de haut vol. Intelligent, il transcende et nous soumet à un entrelac d’émotions qui se percutent. Son deux titres vaut un dix, l’innovation en est la marque de fabrique et tout ça se passe sans le moindre instant de rejet ou d’ennui.
C’est donc un tour de force, frontal mais réfléchi, nuancé avec agilité, que ce Pantocrator aux airs de mandale dans la gueule d’une sale époque. Un édifice de parpaings bien cimentés, noir et haineux, mais également avenant quand on l’a enfin dompté, quand on a pu en extraire les nombreuses vertus soniquement thérapeutiques. Depuis maintenant huit ans, Fange nous malmène pour mieux nous choyer, soucieux de nous léguer des supports dont les sonorités purgent les maux et en appellent à une audace musicale bluffante. Le tout fut par ailleurs mixé et enregistré par Cyrille Gachet, alors qu’ Alan Douches s’est chargé de le mastériser au West West Side Music (New Windsor, USA). Ca met de toute évidence du piment en plus, histoire d’assurer de manière définitive les répercussions de l’objet.