Ex-Brats, donc soumis en son temps au tourbillon « baby-rockeurs » parisien, Niki Demiller a ensuite fui le phénomène, devenant VRP dans l’évènementiel. Ses études le ramènent après cela à la musique; il devient compositeur chef d’orchestre pour le cinéma, s’adonne à une carrière solo et signe l’élégant et inspiré Autopsie de l’homme qui voulait vivre sa vie, recueil de ses tribulations dans un monde tertiaire dépossédé de l’être. Brillant recueil, notons-le bien, où le piano tient un rôle prépondérant, où le verbe dit de belles choses en ayant pourtant pour socle l’amertume professionnelle du sieur Demiller (Tertiaire blues, superbe ritournelle pop-chanson spleenée et malgré tout enjouée). L’accroche est immédiate; Septembre à nouveau plante un décor, déjà, de choix. Dans la maîtrise de son art et de son jeu, sans nous éclabousser, Demiller marie ressenti et beauté de l’écrin. Le propos est évocateur: d’aucuns, d’ailleurs, se retrouveront dans ce que narrent les dix compositions offertes. Le morceau s’anime, vivace, orné de motifs bien trouvés. J’avoue avoir, à réception de l’opus, marqué un temps d’hésitation. Circonspect j’étais. Ce fut un tort, Autopsie de l’homme qui voulait vivre sa vie est épatant et je n’en demandais pas tant. Il est beau, n’oublie pas de faire dans le rock quand ça lui chante (L’asphalte, bourru et bellement serti).
Avant ça, Office manager aura, excusez la faiblesse du jeu de mots, confirmé la réussite que constitue l’entrée en matière. On y entend, dans les arrangements, le brio des grands. Niki a grandi, oui: nul étonnement, par conséquent, à ce que son album soit grand. Ses climats font mouche, nacrés et prenants, assombris dans certains recoins. Pop, rock, chanson, volutes psyché, scories jazzy, l’artiste ne tranche pas. Il n’en rajoute jamais, se fait plutôt, même, minimal. A l’image de ceux qui, poussés par le talent, n’ont pas besoin de charger la mule pour faire des émules. Le titre éponyme, entre touches de piano bellotes et diction urgente sur fond délié, n’est pas lui non plus des moindres. L’album, je le pressens, va m’accompagner. Moi qui, à l’instar de Niki, ai connu la désillusion, la fausseté du métier, je trouve là, tout à la fois, baume et éclat musical récurrent. Call center, quasiment réduit en son amorce à la paire piano-voix, me berce.
Photo Nicolas Vidal.
Point trop n’en faut, cependant: j’aime aussi, et surtout, la vigueur. Alors Demiller, pour me combler, fait s’envoler sa plage, lui confère une douce énergie. Tertiaire blues, virevoltant dans sa ouate, regorge lui aussi de tons merveilleux, de motifs décisifs. Il singe le métier, les comportements que celui-ci engendre. Il a le blues du tertiaire, ca reste secondaire…mais le rendu n’est jamais primaire et puis mazette, voilà que Didier Wampas vient épauler Niki sur un Hyper bipolaire (burn-out) rock et élégant, riffeur et néanmoins joliet. Le chant du Wampas, bien entendu, le dote d’un ton délirant. Oh yeah, du yé-yé mordant et lucide, joueur, tapageur. Concluant. Autopsie de l’homme qui voulait vivre sa vie en ressort, encore, grandi. Déséducation, qui me parle tout autant, nous emporte alors dans ses salves un brin funky. « Faut tricher, pour s’en sortir », prétend entre autres ce titre magnifique à l’étayage étincelant. C’est bien vrai, beaucoup sont maître(sse)s dans l’exercice.
Passons, leur fourberie se paiera. L’aventure, en dandy musical d’abord « précieux » sans irriter le moins du monde, car troussé avec maestria, puis emballant car s’emballant clairement, ravive et accroit l’adhésion à l’ouvrage. Puis on a, pour finir, un fougueux et rythmé La sirène. Du rock, mélodique mais offensif, valorisé par des textes estimables et, derechef, des arrangements heureux et enthousiasmants. L’Autopsie (de l’homme qui voulait vivre sa vie) est terminée: y’a pas mort d’homme, loin s’en faut. On se sent même, à l’écoute, vivant, intensément vivant, et rasséréné. Niki Demiller, fringant, signe un disque auquel on souscrira sans rechigner, aux conséquences bienfaisantes sur le psychisme et l’envie de sons enivrants.