Considéré comme le « lost album » d’Alan Vega, Mutator fut conçu avec Liz Lamere, sa compagne, au studio de l’ex-Suicide à New York, entre 1995 et 1996. A l’époque inachevé, l’opus possédé a été découvert en 2019 par Liz avec un ami proche et confident d’Alan, Jared Artaud (The Vacant Lots). Peu de temps après, ils ont mixé et produit les chansons de l’album visionnaire qui nichait dans les bandes. On les en loue! Mutator est psychiatrique, hanté, malsain, truffé de bruits issus de diverses sources qu’Alan aimait à capturer afin d’en nourrir ses efforts. C’est le tout premier d’une série d’archives appelée à sortir sur Sacred Bones Records, structure digne d’héberger les oeuvres du bonhomme. Et d’emblée la folie de ce dernier, ses climats noirs et inquiétants, saisissent nos consciences quand Trinity, court mais obsessionnel, répétitif, bardé de bruits psychotropes, se fait entendre. Vega nous tend un piège, dans lequel on tombe sans apposer de résistance. On n’est d’ailleurs pas loin, dans l’esprit et dans le son, d’un Suicide. Fist, dans une virevoltance électro-cold aux voix nuageuses, nappé de sonorités en vrille, fait croitre l’effet dément d’un disque dont on pressent déjà qu’il n’a rien concédé à la normalité.
S’il inclut au final huit titres, ce qui parait peu, Mutator ne dispense rien qui ne puisse être négligé. C’est un album dérangé, dérangeant. Fiévreux, cathartique. Muscles louche vers l’indus, conserve une atmosphère glacée et convulsive, de pleine nuit. Le chant, comme de coutume avec le sieur Vega, renvoie rage et démence. Jamais normé, il imprime, irrémédiablement, son timbre aliéné. On en redemande: retrouver Vega, s’imprégner de Mutator est déroutant autant que salvateur. On s’y oublie, on y oublie…à peu près tout ce qui nous déracine.
Samurai, sur un fond serein, j’entends par là éclairci, lâche une ritournelle magnifique. La voix, elle aussi, prend en insanité. Le résultat en tire grand profit: Mutator, quel que soit le chemin emprunté, aura raison de nous. Je l’attendais, fébrilement, impatiemment. Me voilà récompensé, au minimum à la hauteur des mes attentes de départ. Goodbye, crie Alan au terme du morceau. Serait-il déjà temps…?? Heureusement non, Filthy et ses airs de Ministry embrumé se présente, cadence immuable donc entêtante, et bien marquée, à l’appui. Et, en fond, cette grisaille nacrée de bruits à nouveau borderline. Mutator est un délice qui grince (Nike soldier), réfrigère l’atmosphère, se pare de samples qui, de temps à autres, rappellent le hip-hop. On ne s’en étonnera pas, le panel parcouru ici comme ailleurs est grand ouvert. Psalm 68 -tiens donc, voilà qui évoque derechef Al Jourgensen et son projet, tout au moins dans l’intitulé-, constitué de sons psyché presque drone, de voix très éparses, est une réelle expérience. Lent et macabre, il déteint à son tour sur notre psychisme.
Photo avec l’autorisation de Saturn Trip, Ltd
Enfin Breathe (décidément, on ne cessera de penser à Ministry puisque le nom de la chanson nous ramène à son The Mind Is a Terrible Thing to Taste de 1989), sur ce même ton flegmatique et dans une rêverie quasi-shoegaze que le chant vient secouer, clôt Mutator en en faisant un must, le premier d’une longue série donc, qui remettra illico à leur place les apprentis déviants montés en épingle avant même d’avoir prouvé quoi que ce soit. On trépigne d’impatience, donc, de recevoir la suite mais dans l’attente, Mutator exaucera dans la durée tous nos voeux de transgression sonique et musicale.