SOURDURE, c’est Laurent Boithias à la vielle à roue, Eloïse Decazes (Arlt) au chant et au concertina, Josiane Guillot à la voix, Wassim Halal au daf, Maud Herrera (Cocanha) au chant, Elisa Trébouville (Bourrasque, Sourdurent) au banjo et au chant, Amélie Pialoux (Ensemble Nulla Dies Sine Musica), cornet à bouquin, trompettes anciennes, et Jacques Puech (La Nòvia, Sourdurent) à la cabrette. C’est Ernest Berger (voix et violon), instigateur du projet, qui a convié tout ce beau monde pour lui donner corps. Je cite volontairement les noms car, une fois associées, ces personnes font éclore un langage musical nouveau, marqué par l’usage d’un occitan auvergnat bien excitant. Un entrelac, innovant et « folklorique », entre percus diverses et instruments à vent, instrumentation puisant sa force et son cachet dans le passé, et voix diverses, sans cesse typées.
Diantre, qu’il est ardu de décrire, de définir ce son passionnant, enfiévré, tumultueux, tribal (Clavar gavar), que Trevla introduit à la manière d’un troubadour. S’il donne, déjà, une idée du rendu général, le morceau est court et c’est vraiment avec Rondaleira, à « l’électroccitan » grinçante, vocalement majestueuse, à la retenue intense, qu’on pénètre les terres labourées par SOURDURE. Quand on se sera familiarisé avec ce registre sans nom, celui-ci nous possèdera. La rupture, avec ses percussions et motifs sombres, y contribuera grandement. Ses lézardes, convoquant tout un régiment d’outils inédits, font merveille. Il y a dans ce De Mòrt Viva une force, une identité et une pluralité de timbres qui en font une précieuse pièce. Na festa fait son effet lui aussi, entre dualité des voix, lyriques, et remous d’un étayage de première classe.
C’est l’écoute, et sûrement pas mes vains mots, qui définira le mieux ce disque. Qui, à certains moments, sombre dans une forme de chaos sonique que je nommerai « noise régionale ». De Mòrt Viva est une expérience, de celles dans lesquelles on se replonge dès lors qu’on en a pris toute la mesure. A l’écart de tout conformisme, dérangé et absolument bluffant quand retentit le Clavar Cavar cité plus haut, il fera à coup sûr des adeptes et fera s’enfuir, c’est là une source de contentement certain, ceux qui ne jurent que par le « connu » ou le « maintes fois entendu ». On ne l’aimera que plus encore, Tota perta nous aura alors régalés de sa texture convulsive, bardée de sons et rythmes synonymes d’obsession. Presque de l’indus, pour le coup, au chant « d’ici ». Fichtre, qu’il est difficile…mais je me répète et malgré tout, j’en parle car cet album est un coup de génie. Ses travaux folk (L’Ivern Daus Astres), épurés, marqués par, encore une fois, cet Occitan caractéristique, sont de toute beauté. Ils s’enflamment, font tournoyer dans une forme d’ivresse sonore. Splendide! La creiatura laisse la voix seule maîtresse, sa brièveté débouche sur un exceptionnel Nostra Foeira aussi festif que fervent.
C’est la transe, ou presque, qui guette à l’issue de ce disque. De Mòrt Viva, auquel je viens de trouver, dans l’esprit, une formation proche: Ifriqiyya Électrique, charme et dénote joliment. Le rapprochement est bien évidement à l’avantage de SOURDURE tant le combo drivé par François R. Cambuzat se démarque et impose un répertoire magique, possédé, puissant et immersif. On trouve de tout ça, vous l’aurez compris, chez SOURDURE. Vespres Dau Raibar vient d’ailleurs conclure, dans un ton psych-world saccadé que l’Occitan colore, derechef, avec maestria, un album aux pouvoirs cabalistiques. Un exutoire, un prodige musical dont la nouveauté, certes, surprend, déroute même pour certains.
Mais on le sait, c’est là le propre des meilleurs efforts. Projet sans pareil, SOURDURE me captive, définitivement, et me met en difficultés. Je peine, en effet, à retranscrire par le verbe son impact, sa posture sans équivalent, ses sonorités et son identité au delà de l’affirmé. Il ne nous reste donc plus que l’audition, insistante, de son ouvrage fascinant, exact opposé du banal musical, pour complètement l’appréhender.
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