Après 2 ep’s et un album, en mai 2019, de haute volée, L’Envoûtante raffermit l’envoûtement avec Espoir féroce, manifeste noir et enragé dont retombent tons rap fermes, électro sous pulsions agitées et traits rock drus, dispensés de manière éparse. Tout ça sous tamisage maison, ajusté, trépidant, nourri à la colère et les yeux grands ouverts sur notre époque de bâtards étatiques perchés dans leurs sphères puantes et viciées. Le duo Bruno Viougeas/Sébastien Tillous ne s’en laisse pas compter, il serre les poings, enfile les gants et part à l’assaut de l’injustice, ou de l’injuste, avec dans les veines neuf morceaux-pavés imparables. Sachez ça d’emblée renvoie un ton à la Casey avec son Ausgang, séquences électro obsédantes et chant remonté, frappe saccadée forment un ensemble agile et compact, déjà d’aplomb. Sachez ça d’emblée, L’Envoûtante est de retour et l’heure n’est pas au ramage. L’amertume préside, c’est le quotidien que la paire met en maux et pour ça, elle a le mot juste. Même ses chapes lancinantes, telle celle qui anime Désirs bourgeois, menacent et oppressent. L’Envoûtante porte mieux que jamais son nom, elle est reine dans la concoction de trames sonores obscures et dans le dur. Et tu nous perdras!!!Ouais tu nous perdras !!, scande le refrain.
Pour l’heure, on est plutôt en phase; le contenu nous parle, l’éponyme Espoir féroce le complète entre frappe affirmée et débit soutenu. On a, encore, des nappes de tout premier choix, groovy, un brin inquiétantes. Celle-ci est alerte, laisse filtrer des sons nuageux. Sombre et, dans le même mouvement, spatial, ce titre envoie paître n’importe quel concurrent. L’Envoûtante use d’un jargon aguerri, aiguisé, craché par une plume qui fera couler de l’encre. Celle de ceux qui disent, qui la ferment pas, qui refusent de se plier. Ca pulse, c’est sûrement sa vision du monde qui permet au projet de sonner si juste. Dans ton festif se pare de sons entêtants, il est vif et bruisse en flirtant, par instants, avec le rock. Parce que L’Envoûtante, c’est pas juste deux potes qui rappent et basta. Non. La gamme est bien plus large, l’esprit ouvert et la rime shootée au verbe pensé. Périphérie fait pas rire fait retomber la tension rythmique, sa quasi-douceur dans l’ornement n’en fait pas pour autant une ode à la beauté du globe. Loin s’en faut. L’Envoûtante, à l’image d’un Gontard, chronique nos jours avec clairvoyance.
Sur son second volet, Espoir féroce continue à persuader. Démocratie chifoumi riffe de manière déviée, lance du son aride, débite et serpente. Viougeas et Tillous peaufinent leur union, leur Espoir féroce pourrait les porter haut s’il est reconnu à sa juste et grande valeur. J’ai pas lu parle vrai: nul besoin de s’être gavé aux grands noms ronflants, qu’ils fussent littéraires ou d’autres domaines, pour développer un regard, une expression, une attitude, vrais et crédibles. Ladite composition est de haute volée, dans le texte comme dans sa vêture. Je mets quiconque à l’épreuve de dénicher, sur ce disque, une once de creux ou d’insignifiant. Ici tout a un sens, la grammaire s’enivre à la source de l’existence. J’arrête demain crépite, s’irrite, clame presque posément, mais sans escale, sur la culture. Sur l’identité. L’identité, parlons-en justement. On en trouve, ici, au bout de tout phrasé. Ca consolide, évidemment, l’ouvrage de rage de L’Envoûtante. Son fond gronde, il est parfois à l’orée de l’éclaircissement (le terminal Recréer le lien), comme s’il illustrait la possibilité d’un Espoir féroce.
Le terme se passe de rythme, il marie voix et décor ouaté. On y entend en effet, en dépit d’écrits souvent âcres, l’espérance qui point. J’adore ce disque, j’en aime le son, la vérité, les penchants hybrides et la méchanceté réfléchie. J’aime son ensemble, sa pertinence, son impertinence aussi. Son excellence. L’Envoûtante revient en frappant fort, dans la continuité de sorties foutrement impactantes. On n’a pas fini de faire tourner sa nouvelle galette à fond les manettes, encore et encore, histoire de raviver et attiser nos rancoeurs face à l’âpreté de nos heures.
Site L’Envoûtante / Bandcamp Petrol Chips/ Bandcamp Terre Ferme