Paar Linien, s’il m’a dans un premier temps fait croire, de par son nom, à un improbable groupe de doom finlandais, est bel et bien français. Et décalé. Son appellation signifie, en Allemand, « quelques lignes ». Nicolas Stephan (Saxophone ténor – Alto droit – Voix), Basile Naudet (Saxophone alto – Guitare électrique), Louis Freres (Basse électrique) et Augustin Bette (Batterie) y officient, les deux premiers nommés sont par ailleurs à l’origine du projet. Lequel, en s’appuyant donc sur des lignes interprétées, librement et diversement, par le quatuor, crée un univers bien à part, personnel. Une sphère jazz mais pas trop jazz, dotés d’accents rock pas trop rauques mais en relief, d’un bel impact instrumental et de voix malheureusement trop éparses à mon goût car d’un apport certain (Grand Marguerite). Une série immersive, exigeante car, il faut le souligner, sans direction prédéfinie. Et c’est finalement ça qui, au bout des courses, génère une attraction qui ne se dément pas. C’est donc Lignes #1, d’un jazz griffu saccadé, qui ouvre les portes d’un terrain nouveau, joliment joué, tumultueux quand ça lui prend et là, on s’en éprend. Car Paar Linien, soucieux de ne pas s’en tenir à du tenu, ne rechigne jamais à tracer des ornières bruyantes. Il s’en revient ensuite à une feutrine virevoltante (Lignes #2), montre certes qu’il sait jouer mais sans se la jouer. On est éloigné, pour le coup, de l’ennui irritant d’un jazz trop strict.
On se régale donc, à l’envi, des écarts imposés. Liberté équivaut ici à attractivité. On cite, à l’endroit du groupe, June of 44 ou encore le jazz chicagoan (Henry Threadgill notamment), ou le jeu d’Ornette Coleman. Les références sont brillantes, elles ne font toutefois que servir une démarche individuelle. A l’issue de ces deux Lignes initiales, La Danse De Tristan affiche un ton lent, souple et pesant, aussi massif qu’aérien. On est dans des contrastes qui se complètent, synonymes d’unité. Lignes #3 débute par un boucan délectable, ses saxos bavardent. Sa rythmique s’emporte, on fait ensuite silence ou presque…mais c’est pour mieux repartir, après ce break, sur un fond menaçant qui, néanmoins, demeure propret. Lignes #4 déboule, batterie élastique en avant. L’accroche instrumentale est immédiate, on pressent un jazz agité. C’est le cas, on aimera. Entre soubresauts et éclat du jeu, Paar Linien tire son épingle du jeu.
Ainsi et suite au Grand Marguerite cité plus haut, qui se distingue sur près de dix minutes, un Acts of Violence posément free dans un premier temps, un brin enfumé, se fait entendre. Sa durée est également étendue; à aucun moment, pourtant, on ne se met à réprimer un soupir de lassitude. Le morceau est changeant, ses humeurs variables et dotées d’un chant qui à nouveau apporte. Validé!, l’album affirme son altérité. Lignes #5, et ensuite point à la ligne en ce qui concerne les Lignes, est lui bref et de ce fait, sonne inachevé. Enfin Les éborgnés, morceau dédié aux éborgnés des manifestions en France ou d’ailleurs, pose son étoffe faussement tranquille. Il finit, d’ailleurs, par gronder. Orageux, sa batterie tout en doigté et excès instrumentaux lui donnent de l’allure.
Le terme est donc arguant; il plaide pour un projet à l’approche doublée d’une belle accroche, dont la teneur ne se livre qu’au prix d’un effort d’assimilation qui vaut la peine d’être consenti.