Sorti à la base en 1987, plébiscité par le Melody Maker qui le nomma Best album de cette même année devant de grands noms mythiques et loin d’être miteux, l’album éponyme des Helvètes Young Gods avait déjà fait l’objet d’une ressortie Deluxe agrémentée d’un live, en 2012, via Two Gentlemen Records. En ce mois d’avril, le label de Lausanne récidive avec, pour le coup, une réédition incluant une Peel Session où « traîne » le fabuleux L’Amourir, en compagnie de trois titres de l’opus concerné. Lequel, à sa sortie et immédiatement après ma première écoute, me fit un effet que je ne saurais décrire. Une forme de jouissance due à la nouveauté, à la folie, à l’identité sonore forte. Folie du son, des mots d’un Franz Treichler au sommet de sa poésie hallucinée. Folie d’un registre sans nom précis; indus sûrement, Young Gods avant tout. Un album dur, aux guitares-silex férocement samplées, au service de trames imaginatives à l’extrême. Un bloc savant et direct, parfois plus nuancé, enfanté par un trio indélogeable. Nous de la lune, ébahis, entrons dans ce disque les yeux écarquillés: le titre en question est un pavé fait d’une batterie leste, de sons hantés, de mots à la déjante passionnante, déclinés selon plusieurs tons. L’innovation mérite ovation, Jusqu’au bout et ses cordes (?) emportées, son rythme à nouveau asséné, ses six cordes mordantes accroissent l’impact d’un répertoire embrasé. Fou. A ciel ouvert, pourrait-on dire, à l’image de ce morceau hurlant et trépidant.
On navigue ici, d’ailleurs, entre formats courts déchainés et formats plus étirés, comme l’est Percusionne qui incruste des bruits soudains et retient sa cadence. En termes de plages brèves Jimmy, entre autres et par exemple, nous administre une raclée définitive. Il martèle, toujours. Breake, sans douceur. C’est une tornade, percutante et percutée. Fais la mouette, marin et venteux, lui fait suite. A la fois spatial et riffant, c’est là une spécialité « maison » qui perdurera chez les Gods, il prend place au rayon des créations sonores singulières. L’alliage est magique, planant, offensif aussi. Précis dans son expérimentation. Possédé. Voilà pourquoi, avec ce type de groupes et d’albums, on se montre possessif. Pas question qu’une rondelle estampillée Young Gods quitte la maisonnée. La mouette prend le vent, son vol est secoué. Feu, de guitares malsaines en textes perforés par des samples « à la Cesare » alors qu’ Üse assure une frappe infaillible, versatile, remet un tour de clé. On est captifs. Did you miss me? impose des motifs prenants et récurrents, aux airs de valse. Franz râle et, presque, susurre. Si tu gardes, en usant de ces soubresauts rythmiques décisifs, enfonce l’enclume. Envoyé…envoie. De bout en bout. Drumming speedé, sons vrillés, guitares assassines. La recette est redoutable.
Soul idiot lance des airs d’opéra, balafrés par les tambours d’ Üse. Le leader, lui, continue à dévier, épaulé par un Cesare impressionnant. On est déjà, ce n’est pourtant que le premier opus des Suisses, dans un ensemble ajusté et sans égal. C.S.C.L.D.F, dédié à l’acte sexuel, est lui torride. Riffs durs, paroles sans équivoque, poétiquement explicites. Ce morceau est une obsession. Comme si c’était la dernière fois….ainsi que le répète le père Treichler. The Young Gods est l’un de mes albums fétiches, j’ai découvert le groupe avec L’Eau Rouge mais l’effet est similaire et, toujours, se renouvelle. The irrtum boys, furie convulsive aux brusques assauts soniques entre orchestre et riffs métal, met fin au trip avec maestria. On ne conçoit pas de se lasser d’une telle oeuvre, à l’intemporalité pour moi affirmée.
Alors les bonus, sous la forme de ces quatre chansons « sous John Peel« , ne sont que pure jubilation. Mais c’est surtout L’Amourir, seule composition « hors-album », qui vaut de l’or. Séquences psychotropes, portée littéraire d’un Franz aux cimes de l’écriture perchée. Riffing, une fois de plus, bluffant. Secousses pétées, sons comme à l’habitude complètement immersifs. Environs trente-cinq ans après, les Young Gods gardent la magie intacte. En attestent des dernières sorties de haut vol, des collaborations osées et concluantes. Cesare est revenu, comme s’il n’était jamais parti. Üse a été remplacé, en 97, par Bernard Trontin qui officie toujours au sein des Jeunes Dieux. Trêve de palabres, The Youg Gods est culte et mythique, différent, c’est un euphémisme, et surprend de la même manière aujourd’hui qu’au temps de sa parution initiale. Splendide, sauvage, incontournable.