Musicien au verbe lucide, l’amienois Bertrand Devendeville, à la tête du projet Ton Géant, revient sur la création et le contenu de son clip « Chemin du Malaquis » en compagnie de son équipe technique et des quelques musiciens locaux qui y ont pris part en tant qu’acteurs »…
1 — Comment est venue l’idée du clip de « Chemin du Malaquis »? Comment s’est fait le choix de l’équipe mobilisée pour ses besoins ?
Jeannette (réalisatrice) : On a voulu suivre l’hommage que le titre rend à Alain Bashung et Christophe, on s’est donc beaucoup renseignées sur eux. Ils partageaient une passion pour la fête et la musique; étant entraînante, elle se porte bien à ce genre d’ambiance. On s’est demandé, si les deux chanteurs avaient eu nos âges aujourd’hui, à quoi aurait ressemblé l’une de leurs soirées. On a fait le choix de s’entourer d’amis qui ne sont pas tous acteurs afin de retranscrire une vraie complicité. En ce qui concerne la technique, nous n’étions que deux: d’abord en raison de la situation sanitaire actuelle, qui rend les grosses équipes compliquées. Mais aussi pour que le tournage reste « intime », tout comme le moment que les personnages passent dans le clip.
Bertrand (Ton Géant) : Il était prévu au départ de faire des clips « live » avec les musiciens de « Ton Géant ». Puis le co-vid est arrivé. Les restrictions sanitaires et le planning de la bande (nous étions sept musiciens sur scène en 2019) a imposé de revoir l’ensemble de mon organisation artistique. J’ai écrit la chanson « Chemin du malaquis », avec ce dont je disposais autour de moi, à savoir mon ordi, ma gratte et ma voix. Je suis reparti sur des ambiances plus rock. Avec mes vieux potes de « Bertrand &… », Philippe Rak et Marwenn Kammarti, nous avons enregistré trois titres sur une semaine chez Rafi, le chanteur de Karaboudjan, qui a posé quelques guitares. Cécile Lacharme est venu compléter la bande au violoncelle. La contrainte sanitaire interdisait d’être plus de six. C’est devenu une contrainte artistique avec laquelle il fallait jouer.
2 — Quel message le clip cherche-t-il, si c’est son but initial, à faire passer ? Sur quelles ficelles tire-t-on, collectivement comme individuellement, pour servir l’objectif visé ?
Jeannette : En passant par cet hommage aux deux chanteurs, on a voulu rendre souligner l’insouciance de la jeunesse et cette envie de fêtes et de rencontres qui traversent les générations. Et le fait qu’on a parfois besoin d’être coupé du monde extérieur en se créant sa « planète ».
3 — Existe-t-il, dans le clip, une forme de résonance avec l’époque actuelle et son lot de dangers/contraintes, mais aussi d’indiscipline devant les impératifs sanitaires?
Jeannette : En quelque sorte oui, même si ce n’était pas l’objectif à la base. En faisant le montage, on s’est senti nostalgique. Comme en regardant des films où les personnages mangent au restaurant, marchent dans la rue sans masque ou tout simplement se font la bise… Aujourd’hui, même si ce n’était pas leur but, ces scènes n’ont plus le même effet sur les spectateurs tout comme notre clip qui met en scène une fête qui nous est interdite actuellement.
4 — Que vous a apporté, individuellement et collectivement, le tournage ? N’est-ce pas là l’occasion de s’oublier, de s’évader, de « fuir » ? Ou encore une occasion de se révéler (à soi-même ou à son cercle social) par le biais singulier qu’est celui de la vidéo ? Ou bien, pour finir, de juste « faire le con » parce que ça fait du bien »…et que ça illustre (selon moi) une certaine forme de liberté ?
Jeannette : Cela m’a fait du bien de me concentrer sur un projet, surtout en ce moment. Je me suis rendu compte que peu importe la situation, nous trouvons toujours le moyen d’être productifs et de créer. Ce tournage m’a apporté une capacité à m’adapter à un point dont je ne me savais pas capable. J’ai été surprise, aussi, de voir à quel point les gens ont envie de créer et aider à la création.
Camille (assistante réal.) : Ça a parfois été laborieux en termes d’organisation, à cause du confinement qui a été annoncé en plein milieu. Cela nous a forcés à savoir rebondir dans de brefs délais, à trouver des solutions efficaces et qui correspondent à tous. C’est clair qu’on a gagné en expérience. Pouvoir tourner ce clip avec nos proches est une bonne expérience également, car même dans un but professionnel on a pu s’évader, se retrouver afin de pouvoir créer quelque chose. Un tournage pas des plus facile, mais des plus satisfaisant.
Étienne (acteur) : Ce tournage a été une initiation à une pratique artistique que je connaissais peu.
Mathilde (actrice): Cela a aussi été une première expérience de figuration pour moi, en légèreté, parce que le clip ne nécessitait pas vraiment de compétences de jeu. C’était aussi un moment de décompression, oui !
5 — Se mettre en scène permet-il, selon vous, de « vaincre » ou dépasser certains traits de personnalité, voire d’en exacerber certains autres ? Si oui, lesquels ?
Étienne : Cela peut permettre de passer au-delà d’une timidité que chacun a.
Mathilde : Se mettre en scène permet aussi de renouveler le regard que l’on porte sur soi.
6— Du côté de l’équipe « technique », comment s’y prend-on pour rendre le rendu éloquent, lui donner de la portée ?
Jeannette : L’idée de filmer avec une caméra 360° pour créer une petite planète est venue avec son lot de défis à relever sur le tournage comme en postproduction. L’objectif filme tout ce qu’il y a autour et le tournage se passant en grande partie en extérieur, il a fallu être très attentif. Les acteurs ont aussi fait office de cadreurs, car ils portent parfois eux-mêmes la caméra pour donner plus de mouvement aux plans et qu’on ait le sentiment de marcher avec eux. Ça a été difficile, car ils ne pouvaient pas voir le retour et ont du suivre nos instructions, en répétition, sur la manière de jouer et cadrer en même temps.
7— Quels sont les différents sentiments qui, au fil de l’élaboration du clip, vous imprègnent ?
Bertrand : Bosser avec ma fille m’a apporté autant de fierté que d’agacement. Je suis jaloux de son niveau d’exigence artistique !
Jeannette : Ça a été de vraies montagnes russes en ce qui me concerne; tout ne s’est pas passé comme prévu dû à la situation actuelle et au fait qu’on ne connaissait pas bien la caméra. J’ai eu des moments de stress et de déception, parfois, de ne pas avoir exactement les plans que j’avais imaginés en réalisant le découpage technique. Mais à chaque fois, on a trouvé une manière de s’adapter sans perdre l’essence du clip et je suis fière du résultat, que je trouve sous certains aspects mieux que ce que j’avais initialement imaginé.
Camille : Il y a eu quand même pas mal de frustration qui a émané de moi lors de l’élaboration de ce clip. On a tout de même dû faire face à pas mal de problèmes d’ordre technique. Mais on a foncé jusqu’au bout! On aurait pu baisser les bras à plein de moments, ce qui, au final, me soulage énormément et me rend très satisfaite que ce clip sorte enfin.
8— Musicalement, j’entends clairement Bashung, éthylique et « clopisant » sans égal dans le verbe et la diction, et Ton Géant évidemment. Je décèle une vision amère et poétique, « ironico/lucide » sur les rapports humains, sur le monde qui nous entoure. Tu confirmes, Bertrand ?
Bertrand : Les rapports humains sont certainement le sujet qui m’interroge le plus actuellement. J’ai des projets de spectacle de rue dans ce sens, d’ailleurs. Pour Bashung, c’est clairement une chanson hommage dès le début de la composition. Cependant, je ne pense pas avoir cherché une quelconque ironie ou lucidité dans le texte. Si ça s’écoute ainsi, en même temps, pourquoi pas ? Quoiqu’il en soit, je préfère pencher du côté de la poésie que de la lucidité.
9 — Quelles ont été tes sources, où se nourrit ta plume que par ailleurs, je trouve agile et inspirée ?
Bertrand : L’entraînement. Plus j’avance dans l’âge, plus j’écris. De tout, des bouts de nouvelles, des slams, des poèmes. Sur cette chanson, Bashung, évidemment. Je m’intéresse beaucoup à la façon d’écrire. J’ai lu quelque part que Pierre Perret griffonnait un cahier entier pour une chanson. Ça fait partie des anecdotes qui me donnent envie d’écrire. Mais il est difficile pour moi de donner des influences concrètes, ou une bibliographie. Je picore beaucoup, et pioche pas mal de choses dans le quotidien, et les arts populaires, comme les comics ou les arts de rue.
10 — La rime, dans les compositions, est pour moi un atout majeur ; elle confère de l’envergure, en plus de l’affubler d’un p++++ de style, à la composition élaborée , et assied son sens. Qu’en penses-tu ?
Bertrand : C’est un cadre. Je sais que tu connais les cadres, Will, c’est logique vu tes passions et ton métier ;-). J’aime bien les cadres aussi dans l’artistique. La recherche d’une rime t’amène parfois là où tu ne pensais pas aller. C’est rassurant aussi pour le lecteur ou l’auditeur. Après, le jeu est de créer la surprise en cassant tout au moment opportun.
11 — Si l’expérience devait se poursuivre, vers quels sujets souhaiteriez- vous vous orienter et pourquoi ?
Jeannette : Avec l’association Bokeh, qu’on a créée récemment, on a plusieurs projets en cours et d’autres qu’on a dû mettre en pause en attendant qu’il y ait moins de restrictions. En ce moment j’écris surtout des fictions comiques, dont un court-métrage que je tourne en avril. Je crois que j’avais besoin de rire et je me suis donc orientée tout naturellement vers ce genre. J’ai aussi beaucoup aimé réaliser ces clips et espère en faire d’autres dans le futur.
Camille : Pour la suite de l’expérience, j’aimerais évidemment continuer à réaliser des clips musicaux, nous étendre jusqu’à la live session. Étant musicienne, c’est dans ce genre de format dont je m’amuserai le plus, et surtout que je connais le moins. On a pour but également de tourner des courts-métrages, c’est toujours passionnant.
Bertrand : Il y a encore deux clips sous le coude… à venir bientôt. Au niveau des rapports humains, on n’a pas fini d’en faire le tour… Parfois, le sujet n’apparaît qu’une fois la chanson écrite.