Quelques jours avant son bigarré « Isteghna » qui sort le 30 avril sur les labels October Tone (Fun Fun Funeral/ T/O…), Cheap Satanism Records (BE) et Extra Normal Records (UK), l’artiste DIY tout terrain qu’est Hassan K, bidouilleur devant l’éternel et fervent défenseur de la culture libre, mixant sans limite rituels perses et nouvelles technologies, guitares surf et bellydance, BO de film et harsh noise, swing et cyber-métal, toujours entre Occident et Orient, répond aux questions de Will Dum….
1) Tu es Franco-Iranien, actuellement basé à Lille. Peux-tu me dire un mot sur ton parcours avant d’arriver dans le nord de la France ?
Pour être précis, je suis né dans le sud de la France et j’ai acquis plus tardivement la nationalité iranienne pour pouvoir circuler dans les deux pays plus librement (car une bonne moitié de ma famille vit en Iran). Même si je travaille et vis à Lille depuis 10 ans, une partie de moi réside en Iran.
2) Tu n’as ni booker ni accointance avec les réseaux sociaux, cela correspond t-il à un désir de totale indépendance et/ou de t’inscrire à contre-courant des artistes qui misent sur le net pour se faire (re)connaître et réussir ?
C’est un point très intéressant, une question que l’on me pose rarement en interview alors que je bouillonne d’envie de raconter cette expérience (ahah). J’ai bien évidemment envie de partager ma musique avec le plus grand nombre ! Le public est moteur dans la création, l’échange est primordial. Contrairement à ce que l’on pourrait comprendre, je ne suis pas technophobe, loin de là. J’enseigne en école d’art en tant que designer interactif, et j’interviens de temps à autre dans d’autres établissements supérieurs sous forme de conférences ou d’ateliers pratiques. A travers les contenus pédagogiques que je propose, je défends la culture du libre, l’éthique numérique, la cyber-hygiène. Il serait donc malhonnête de ma part d’aller à l’encontre des idées que je partage avec mes étudiants…
Il y a plusieurs choses qui me dérangent dans l’autopromotion et la bataille communicationnelle sur les réseaux :
Premièrement, le rapport addictif qu’entretiennent les utilisateurs avec les réseaux sociaux et les plateformes de streaming. On y revient souvent, trop souvent, pour ne pas assimiler grand chose car les contenus y arrivent simplifiés et en masse pour tenter de satisfaire nos envies de communications insatiables.
Deuxièmement, l’appréciation d’une oeuvre à la quantification. Je m’explique : un auditeur, un programmateur, un label vont plutôt être séduits par un musicien, une musicienne qui a des milliers de followers et des milliers de vues. Or la quantification en « like » n’est pas un gage de qualité (sinon Wejdene serait la nouvelle Patti Smith), car elle est la résultante d’une saturation promotionnelle, de jeux de mots clefs non cohérents avec le contenu, de classifications opaques (paiement de bots, de services pour éviter les filtres d’indexations…).
Troisièmement, la perversité des ces plateformes à classifier, noter, vendre nos données à des entreprises tierces motivées par des enjeux politiques ou marketings concrets.
Dernièrement, le désastre écologique provoqué par ces échanges, par la duplications des posts et surtout par la lecture de médias en streaming.
Je n’invente rien, je pense que beaucoup d’artistes (de citoyens), sont conscients de ces faits néfastes. Par contre, peu d’entre nous sont en résistance, ou sans user de ce mot militant, peu d’entre nous modifient leurs usages au profit d’une communication plus éthique. Je ne suis moi même pas à 100% propre, mais j’essaie de tenir une ligne de conduite. On peut se sentir marginalisé au début, mais le jeu en vaut la chandelle.
3) Au vu de ceci, comment t’y prends-tu, justement, pour propager tes travaux musicaux ?
Je fais tout le contraire de ce que proposent les réseaux sociaux. Par exemple, j’utilise beaucoup le mail pour converser. C’est un outil asynchrone, qui me permet de ne pas harceler les gens, de ne pas passer à travers le flux d’informations partagées, et qui me garantit une réponse du destinataire. Aussi, et c’est le plus important, je privilégie le contact direct, l’humain et les instances culturelles (labels, salles de concerts, journalistes, programmateurs). Je crée des amitiés, je me passionne pour les autres compositeurs, les structures innovantes, je m’investis également dans la diffusion d’artistes (français , étrangers) en organisant des concerts dans ma ville, en embarquant des amis musiciens dans mes tournées.
En créant cette dynamique d’échanges concrets, on forme un réseau de confiance et une réelle écoute. Mes amis, mes compagnons de route, mes collaborateurs sont les ambassadeurs de ma musique! Et grâce à eux j’ai une audience, des écoutes attentives, ce qui me permet de voyager partout dans le monde pour jouer ma musique.
4) Tes albums sont hauts en couleurs, déroutants, musicalement « éclatés » et captivants. Comment en es-tu venu à un tel éventail ? Où puises-tu ces sons si divers ?
Ce sont mes références qui m’ont poussé à un tel résultat. Je suis un très grand fan de musique d’avant garde, de rock in opposition, d’électro déviante (toute la vague breakcore je pense), de musiques expérimentales orientales. Je ne vais pas lister tout ce qui me plaît, la liste serait vraiment longue, mais il faut comprendre que j’essaie de raconter des histoires avec ces albums instrumentaux. Et lorsque l’on raconte des histoires épiques et mystiques, pleines d’événements en tout genre, l’écriture musicale se fait sans frontières. On éclate les rythmiques, on mélange les timbres, les styles pour décrire au mieux les images que l’on construit dans notre imaginaire. Et passer du métal à un gimmick bollywoodien sans heurts, ce n’est pas une mince affaire. Surtout que je me donne comme contrainte de ne jamais utiliser de samples.
Je peux donc passer des jours, des semaines à écrire et à jouer mes partitions avec les bons instruments, les bons échantillonneurs, les bons instruments virtuels qui produiront le son le moins pété.
5) Tu accordes une certaine importance à l’image, tu as par exemple confié la réalisation du clip de « Gardgiri « à Clotilde Auboeuf-Dominguez & Adrien Tison qui en ont fait un trip « cartoonesque » et psychédélique en 3D. Que t’apporte donc l’image, le visuel ? Comment les lies-tu au son ?
J’ai la chance d’être entouré d’artistes illustrateurs prestigieux, brillants: du coup, pourquoi ne pas les exploiter ? Ahah, non plus sérieusement, c’est toujours un peu timidement que je leur demande. Et je n’ai eu que des réponses franches et positives pour mettre en image mes albums, mes posters, mes flys, mes clips (Norma, Stéfania Arcieri, Clotilde Auboeuf-Dominguez, Adrien Tison, Piet Du Congo… et bien d’autres). C’est un prétexte pour favoriser la musique archive (Vinyles, Cd, Casettes) en opposition avec la musique streamée.
Au-delà de ce travail esthétique pour mettre en objet mes albums, l’image est aussi une clef de lecture de ces albums. La plupart des morceaux ont un intitulé persan, et décrivent un événement de l’Iran antique, médiéval ou une étape de la chevalerie spirituelle de l’islam Iranien. Difficile pour un profane de comprendre. Les images qui accompagnent mes albums, mes performances, mais aussi les textes, interviews que l’on trouve sur la toile aident à déchiffrer les concepts des ces pièces musicales.
6) Quel est le degré d’influence que tes terres d’origine, et celles qui désormais t’hébergent, peuvent avoir sur tes créations discographiques ?
Les deux cultures sont très complémentaires. Dans l’approche, on peut me considérer comme un traditionaliste : j’utilise des genres, des techniques occidentales pour valoriser un patrimoine historique et sonore oriental. A l’écoute, cela peut paraître pour certains complètement hors sol, grossier ou au contraire complexe et hermétique. En tout cas, j’essaie d’entretenir cette alchimie le plus sincèrement possible, j’essaie de retranscrire le plus fidèlement mes intentions de transmissions en évitant les pièges du folklore et de la techno-orientale.
7) Ton nouvel album, « Isteghna » sortira le 30 avril sur les labels October Tone (Fun Fun Funeral/ T/O…), Cheap Satanism Records (BE) et Extra Normal Records (UK). Comment a t-il été conçu ? Y vois-tu une suite logique de tes efforts précédents ou, au contraire, une œuvre qui tranche avec leur contenu ?
Cet album à été conçu comme les précédents : dans mon petit appartement, plus précisément dans mon salon-cuisine où s’accumulent micros, guitares, instruments perses, synthés … ahah c’est terrible… Même environnement de travail, mais au fur et à mesure des années l’instrumentarium s’est enrichi, les méthodes de compositions ont évolué, la pratique de la guitare également, l’expérience a élevé cette étape de production. Isteghna ne crée pas de césure avec les autres albums, il est plutôt dans une continuité. Et j’ai encore plein d’idées de créations ! Il me manque juste du temps libre…
8) « Isteghna » a été enregistré durant une période évidemment tourmentée, a-t-il un lien particulier avec celle-ci ?
Oui, il y a déjà un lien très concret. Durant cette période, je travaillais en distanciel. J’étais beaucoup moins sollicité que lorsque je donne mes cours sur site, moins sur la route pour jouer mes lives, et aussi moins dans les transports en commun. L’enfermement a beaucoup joué sur l’écriture. Pour beaucoup de collaborateurs, cette période de pause, d’introspection a été la catalyse de nombreux projets artistiques : la créativité et l’imagination sont de véritables dons lorsque l’on vit une crise aussi compliquée (j’émets des réserves en exposant ce lieu commun, car je sais que l’épidémie a causé de nombreux dommages chez d’autres artistes et concitoyens).
9) Qu’est-ce qui fait, selon toi, la force d’un album ? S’agissant de ce « Isteghna » qu’on ne se lasse pas d’écouter, quels sont selon toi ses principaux atouts ?
La réponse va être très subjective. Les bons albums sont ceux qui surprennent par leur déroulé, une temporalité dans laquelle aucun des morceaux ne se ressemble franchement. C’est ce qui me donne des frissons lorsque j’écoute l’un ou l’une de mes artistes préféré.e.s à la maison. Isteghna essaie de respecter cette trame. Je pense qu’il fait le boulot. En tout cas que l’on aime ou que l’on n’aime pas le contenu, il aura la force de ne pas laisser indifférent.
10) Quelles sont tes visées lorsque tu sors un album ? As-tu des objectifs précis, des messages spécifiques à acheminer via tes disques successifs ?
L’objectif est double. D’abord, une sortie est l’occasion de défendre un projet en concert. J’adore le live, je prends vraiment plaisir à performer (je me donne à fond), à voyager, à échanger avec le public. Bon, là c’est un peu compliqué, mais dès que le champ est libre, je suis partant pour reprendre la route, guitare et PC à la main. Aussi, le projet me permet de me plonger dans l’histoire de l’Iran, une culture millénaire complexe, que je souhaite partager au plus grand nombre.
Comme je le disais précédemment, à travers Hassan K., je raconte des histoires propres à cette culture. Initialement, j’avais découpé cette aventure en 7 albums de 30 à 40 minutes. Après Isteghna, il me restera un LP à sortir avant de transformer le projet ou de changer de groupe. Je ne sais pas si je tiendrai le pari! ahah. Je tricherai peut être en faisant des préquels ou un dérivé !