Tout comme, entre autres structures d’importance, le 106 de Rouen ou la Lune des Pirates d’Amiens, l’ASCA de Beauvais permet à la culture de (sur)vivre. Par le biais des Lives de L’ouvre-Boite donc, groupes et techniciens peuvent, à nouveau et quand bien même les sets proposés demeurent virtuels, se produire et tromper, tout en étalant leur talent, une angoisse que les « hautes sphères » étatiques n’aident aucunement à combattre. Le 20 février dernier, pour une retransmission prévue le 19 mars, se produisaient les jeunots de Manopolo, d’Amiens, avec leur néo-soul nacrée et hypnotique, sur la scène de la SMAC isarienne. Avec, en guise de final, une interview menée par Bryan de Radio Graf’hit 94.9 Fm.
Ils surprennent d’abord, ces deux acolytes, par leur évidente complicité. Laquelle leur permet, matérialisée par un EP nommé Billie et sorti en juin 2020, une poignée de morceaux où soul évidemment, hip-hop débité d’un ton presque las et pourtant magnifique, effluves jazz et climat brumeux, vaporeux, créent un univers à part. Une bulle sécure, faite de titres qualitatifs qui créditent une paire dont a l’impression, déjà, que rien ne peut la dénouer. Un projet soudé, à l’entente évidente.
En ces temps de flou, de crainte, les ambiances protectrices de Manopolo font du bien. On vit une parenthèse dans le temps, qui semble se figer ou se purger du vice qui quotidiennement le pénètre. Dans la feutrine de Paul et Manoah, dans la fumée, les yeux fermés ou écarquillés, on n’a plus qu’à se laisser porter. On est captifs, comme pris dans la nasse: je fus un temps dubitatif à l’arrivée du projet, moi le friand d’écorchures rock bien noisy. Mais pour les avoir vus plusieurs fois à l’oeuvre, pour avoir échangé avec eux, touché du doigt cette modestie et ce sens du partage doublés d’aptitudes laissant augurer du meilleur pour la conduite de leur carrière, je mesure pleinement, désormais, la portée de ce qu’ils mettent en place. Manopolo est une lune, une sorte de refuge où la rêve se substitue à la réalité. Une sphère de rose et de bleue, lascive, que des morceaux comme Shallot, complètement embrumé, ou Blue radio, au hasard et au sein d’une bordée de compositions qui, depuis le Young de la fin 2019, ont bénéficié d’une belle avancée, bordent joliment. Ca fait son effet, le cadre intime défini pour l’occasion est de plus idéal.
Le tour est joué, l’auditeur s’est vidé la tête. Au gré de l’errance musicale de Manopolo, tout en visionnant une interview où les deux Picards ont l’air gênés, ou presque, d’être là et manifestent le regret de ne pouvoir, de manière frontale et directe, partager leur butin avec une véritable assistance, l’immersion fut bienfaisante. « Aux âmes bien nées, la valeur n’attend point le nombre des années », disait Corneille. Manopolo illustre fort bien l’adage, il est désormais à inclure dans le giron des espoirs régionaux à suivre à la trace ou plutôt à la volute, eu égard à ses scories soul troussées avec dextérité, un tantinet hybrides. Ce groupe a du cachet, son baume sonore apaise et balaye le tourment. On l’en remercie, dans le même temps on salue le travail de l’ASCA qui, pour son futur Live de l’Ouvre-Boite, accueillera ce vendredi 26 mars Goodbye Meteor et ses plages instrumentales elles aussi enrobantes.
Setlist: Workin’ Out/No Police/Velvet Lies/Take Me Away/Loner
Site ASCA Beauvais / Linktree Manopolo / Site Radio Graf’hit