A l’heure où le sevrage de lives commence à sérieusement peser, d’une part moralement et d’autre part financièrement, sur les groupes, techniciens de tous bords et équipes en place dans les salles de France et de Navarre, à l’heure, aussi, où le monde artistique et culturel éprouve un ressenti logiquement teinté d’amertume au vu du sort qu’on lui réserve, les livestreams sauvent quelque peu la mise. Celui de Structures au 106 de Rouen, dont la silhouette me manque tant depuis mon retour en ses murs en septembre dernier, pour Bror Gunnar Jansson, fit le job au delà de l’espéré. Ceci sous l’impulsion de Radio Lomax, avec son immanquable Lomax Expérience faite de lives entrecoupés d’interviews. D’interviews instructives dois-je dire, drôle et touchante aussi, pour le coup et en ce qui concerne celle de ce mardi soir. Mais revenons au set, compact et émaillé de titres d’un nouvel album qui, circonstances obligent, se fait encore attendre. Une prestation de feu, de tout premier ordre, servi par une colère audible dans le chant, dans des parties instrumentales allant jusqu’au bout d’un impact sonore ébouriffant. On reconnait, dans une lumière mesurée, l’entrée de la Grande Salle: Structures joue dans cet espace entre l’antre en question et le bar du 106, les murs s’en souviendront et nous sommes toute une assemblée, derrière…nos écrans d’ordinateur, à boire à grandes gorgées ce live intense amorcé par le bien nommé Rough wave, phénoménal.
Structures est une entité désormais justement reconnue, soudée autant que performante dans l’élaboration de ses morceaux comme dans leur exécution -le mot est voulu- scénique. On pressent, à travers les morceaux offerts ce mardi, un opus magistral. Ca aiguise l’impatience, dans l’attente l’exutoire est parfait. L’âpreté du quotidien en émane, elle gicle de chacune des créations. De la voix de Pierre, péremptoire, grave et profonde. D’une section rythmique entre nerf à vif et souplesse, assurée par Marvin et Oscar. Des guitares d’Adrien, marquantes en tous points. D’effluves soniques qu’on garde en tête et qui font lever le poing, hocher la tête avec vigueur et bonheur, que ce soit dans un tumulte récurrent et salvateur comme dans ces passages plus modérés. De synthés qui, à intervalles réguliers, ponctuent les chansons d’envolées froides aux atours, de temps à autres, guillerets. Satellite, entre autres perles façon Structures, galonne les musiciens. L’interview fait ressortir, dans les propos, une forme de violence dans l’existence, de dureté dans l’approche de celle-ci: lors du live, tout concourt à la rendre palpable, à travers des compositions de haute volée. Les chants à l’unisson, ahurissants de puissance et de vérité dans ce qu’ils renvoient, la crachent. Ce live est un bon gros glaviot rough-wave, fait maison, en indés convaincus que ces mecs ont toujours été et se plaisent à demeurer. Ce concert est un partage, une offrande à ceux qui comme Structures subissent et combattent, par le son et l’attitude, les conditions actuelles. Un cadeau, finalement, qui dès lors qu’on en a ôté le ruban déploie des vertus thérapeutiques.
Parce que Structures, ça purge. C’est un peu un club, comme évoqué en interview. Un équipe qui fédère, forte d’un talent conséquent, d’un EP de poids, de singles dignes des références de leur mouvance, de valeurs avérées et d’un disque à venir qui, j’en suis persuadé de par les aperçus livrés au 106, fera date. Marvin parle de match, pour le coup Structures gagne les duels et la partie. On évoque la scène rouennaise, place forte de l’échiquier rock hexagonal. On honore la caste des « petits » au sein de laquelle se passent bien plus de choses fondatrices et humainement enrichissantes que dans le monde des soi-disant ou autoproclamés grands. Ces gars-là ont des choses à dire, il est bon de les écouter mais leur gigs, plus encore, parlent pour eux. Passé ce verbiage digne d’intérêt, la clique se remet en place et assène une brochette de morceaux chauffés à blanc par une énergie, une inspiration défricheuse et dévastatrice. Structures est mûr et tape dur, ses accords et cadences foncent dans le mur et s’y crashent. Une certaine idée de la déconstruction, pour à l’issue, engendrer du neuf, du nouveau, avec en ligne de mire une forme d’espoir. On les suit volontiers dans la démarche, on n’ose se figurer ce que ce serait si, au lieu d’en jouir derrière nos bécanes, nous étions présents.
Structures donne sans compter; si certains morceaux font très forte impression, c’est bel et bien l’ensemble qu’il faut retenir. Sorry, I know it’s late, où plane la noirceur et le groove cold d’un Joy Division, y aura également accru l’impatience d’un retour aux conditions normales. How does it feel?, ainsi que le questionne l’album espéré: on est bien, on plane au dessus des tracas puisque Structures s’occupe de notre cas. On surnage, porté par les rudes secousses d’une équipée rough-wave aux vagues incoercibles. De brefs flashs de lumière font ressortir, sur les visages, la force des expressions. Long life se fait entendre; lui aussi optimise les nôtres, de « lives », et c’est bien tout le mal qu’on souhaite à Pierre et ses acolytes: durer, perdurer, quand bien même ça doit se faire dans le dur. Ils savent faire, peut-être même est-ce là, sur ce terrain hostile, que le groupe tire le meilleur de lui-même. Un rendu tripal, né du vécu, détenteur d’une personnalité forte et éloquente. Robbery, en prélude à la rondelle tant attendue, vient clore les débats. Le pillage est sans appel; « I know, we’re all infected! », scande la troupe en guise de ralliement final. C’est le virus Structures, celui-là est de bon augure et n’insinue pour nous tous, auditeurs à la fois frustrés et sous l’emprise, qu’enivrement et dépendance à l’univers Structures.
Revigoré, on voit alors s’afficher le nom du prochain protagoniste. Il est l’heure de remercier, vivement et avec reconnaissance, Structures, le 106, Radio Lomax et leurs équipes entières, plus que jamais mobilisées, malgré une ère incertaine et angoissante, pour la survie d’une culture majeure et vitale. Pour tout ça, respect immense et applaudissements nourris donc, dans la perspective d’autres lives aussi accomplis que ce livestream à la sauce Structures.
Setlist: Rough Wave/Satellite/Sorry, i know It’s late but/Immortals/Hi/Long Life/Robbery.