Réédition de ses quatre albums, ainsi que d’un disque de versions dub et d’inédits. The New Age Steppers, soit l’union musicale entre le producteur Adrian Sherwood et Ari Up des Slits, frappe fort et ce, par le biais du mythique label On-U Sound qui se charge de rééditer ses perles. Connu pour avoir rapproché les scènes post-punk, dub et reggae, le duo fit intervenir, sur ses opus, des membres de The Pop Group, The Raincoats, Flying Lizards, Roots Radics, Aswad et Creation Rebel. C’est dire la diversité visée, la pluralité de créations à distance des normes établies, ceci en toute logique au vu du pedigree et du parcours respectif des deux impliqués. On se retrouve donc avec un ahurissant recueil, une intégrale où les genres crashent et clashent, un élixir sonore à avaler à grandes goulées, tantôt cool et enfumé, tantôt plus lourd et emballé.
En prenant les cinq sorties dans l’ordre, on obtient une suite imprenable, qui s’amorce avec un Fade Away céleste et fumeux. Radial drill lui succède sur des tonalités plus viciées, dub mais dans la déviance. On navigue, chez New Age Steppers, entre accessibilité et voie tordues récurrentes. Qualitativement, on se hisse vers des sommets de fiabilité, d’authenticité dans le rendu, que State assembly et son dub finaud aux sons entêtants, dépaysants, vient renforcer. L’auditeur se retrouve avec quarante-cinq plages dont l’étendue ne lui laissera aucun répit, lui imposant des heures et des heures d’écoute immersive. D’un Crazy Dreams And High Ideals vaporeux et versatile, au chant encanaillé, à, au hasard, ce Vice Of My Enemies typiquement reggae en passant par, toujours de manière hasardeuse, Musical terrorist et ses saccades d’un genre indéterminé, on peinera non pas à s’y retrouver, pour peu qu’on soit déjà investi de l’oeuvre de la pare, mais à quitter l’audition de cette ressortie royale.
De 1980 à 2012, les acolytes n’ont eu de cesse de défricher, de fédérer, d’offrir à la fois nouveauté et formats plus « prévisibles », si tant est qu’on puisse employer ce terme pour qualifier leurs ouvrages. Je reviens à l’écoute, Animal space est une volute psych-dub aux effets incoercibles. La basse est ronde, elle ponctue magnifiquement la chanson et, par extension, la plupart des morceaux offerts. On retrouve, régulièrement, des élans traversés par des sons cosmiques, issus d’esprits fertiles et assez dérangés pour enfanter le meilleur. Private armies transpire un post-punk au ralenti, dubisant, dont les effluves montent vers les cieux en s’accompagnant d’un chant épars. My whole world, issu d’ Action battlefield, impose lui un rythme plus marqué: marqué comme nous le serons après avoir gobé ces pilules soniques plus efficientes que n’importe quelle médication. Got to get away, prétend l’un des morceaux. Sûrement pas, on reste d’ailleurs scotché par cette track tapageuse dans sa coolitude. My love, à sa suite, exhalant un reggae des îles un brin ska, racé. on y trouve en fin de course, c’est une constante délectable, ces passages « dans la vapeur », affublés cette fois d’un rythme qui hausse le ton. Problems fait résonner ces petits riffs inhérents au reggae, on note de façon globale qu’entre Ari et Adrian, entre le chant de la dame et les ingénieuses inventions du bonhomme, la symbiose est totale. « Guests » aidant, et pas des moindres, le rendu est à la hauteur de son esprit fusionnant.
Some Love et ses cuivres, sa dualité vocale avec Bim Sherman, si je ne m’abuse, honore Foundation Steppers. Un troisième album sorti en 1983, qui vient clore une trilogie de tout premier ordre. Avec Conger, on est dans un registre plus agité. Le morceau émane de Love forever, paru en 2012. La fin des débats, pour New Age Steppers, mais pas celle d’un répertoire bigarré, ici africanisant, tribal et dansant. My nerves, fervent et cadencé, lui conférant énergie et ensemble soudé, furieux et world dans l’esprit. Le tout sur une dynamique post-punk transcendée, passée au filtre d’une démarche pluri-stylistique. New Age Steppers, sur ses derniers jets, continue donc à se distinguer. L’évolution peut certes dérouter, certains fans de le première heure pourraient tarder à la valider. Mais musicalement, le tout demeure largement attractif. The Scheisse Song amène l’Allemand dans le texte, on se croirait chez une Nina Hagen et ça n’est pas pour nous déplaire. The Fury of Ari place ses soubresauts acides, son tumulte empreint de délié. La patine sonore, le désir de s’engager sur des pistes « en biais » perdure et permet, à nouveau, un effort de haute volée. Le vivace Wounded Animal l’étaye superbement, dans un format groovy et entrainant.
Pour terminer le boulot, et le compléter avantageusement, on en vient à Avant gardening et ses versions « dubinédites ». Some dub, entre autres et parmi ces titres tirés de l’ère 80-83, assure un trip prolongé. Voilà une extension jouissive à une « totale » déjà plus qu’accomplie, qui nous permet de prendre la mesure du génie d’un projet à part. Une entité dont les compositions, à ce jour, continuent à sonner juste, fortes de ce statut intemporel, et pourraient servir de socle, de source d’inspiration, à bien des formations actuelles. Superbe.