Groupe berlinois, Camera en vient avec ce Prosthuman à son cinquième album en dix ans. Sous couvert de line-up, et de méthodes, changeants, le projet de Michael Drummer évolue et enfourne des instrumentaux qui dépassent largement le genre kraut dont on qualifie Camera. Tim Schroeder arrive au synthé, Alex Kozmidi à la guitare. Exit les deux virtuoses du clavier (Steffen Kahles et Timm Brockmann, membre fondateur de CAMERA) présents sur Emotional Detox, l’opus précédent. Et place à un entrelac de planeries ou du fulgurances, grésillantes dans leur sérénité (Prosthuman apptime), certaines flirtant avec le dub (Alar alar) pour un résultat qui, même exempt de chant, tutoie la grandeur. On se croirait revenu au temps de Can ou encore de NEU! à ceci près que, notons-le bien, Camera développe là ses idées propres, fertiles. Kartoffelstampf, sur un tempo vivace et selon des bruits vrillés, perforants, faisant d’emblée rutiler le turbo krautrock. On est, régulièrement, pris dans des ambiances variables, au gré des directions prises. De partout fusent sons et textures, sans cesse ingénieux.
Quand se pointe Überall Teilchen / Teilchen Überall, on s’élève vers le ciel. Celui-ci est à la fois chargé et dégagé. Des voix « off » apparaissent, amenant un plus. Une fois encore, on a droit à un crachin de sonorités d’on ne sait où, crissantes et spatiales. Moi qui, habituellement, peine à intégrer le format « intru », je suis en l’occurrence complètement convaincu. De Berlin sortent des formations mémorables; Camera, assurément, a droit à ce titre. Freundschaft, cold et céleste, aux faux airs jazz, ne me démentira pas. Prosthuman est un disque captivant, d’humeur fluctuante et de qualité égale. Le morceau devient, en sa fin, orageux. Qu’il est bon d’errer dans les terres et espaces de Camera, immanquablement attractifs.
Photo Jan Michalko
Avec El Ley le terreau est rythmiquement kraut, assurément. S’y greffent des nappes de sons obnubilants, qui bien entendu comptent pour beaucoup dans les nombreux effets positifs de l’album sur celui qui s’en imprégnera. Il en va de même avec les sons déchirés et bien acides de Schmwarf, doté lui d’un chant et de basses charnelles. Un essai cold et kraut, réellement imparable. On s’éprend, plus encore, de Prosthuman. Et ce n’est pas fini, A2 et ses claviers perchés, son côté leste et soniquement inspiré faisant gravir un échelon supplémentaire à l’ensemble. D’une base kraut, on se refuse à rester cloué. On expérimente, avec maestria et sans trop complexifier le final. Chords4 / Kurz Vor visite des sphères un tantinet moins agitées, cadencées cependant, qui occasionnellement se troublent. Chez Bureau B, le catalogue est imprenable; Camera, c’est une évidence, le complète superbement.
C’est sur Harmonite, ultime voyage saccadé et dépaysant, presque oriental dans certains sons, groovy et baggy (si si) dans son tempo, que l’épopée prend fin. Sur près de six minutes à l’horizon bleu-gris, on a donc droit à une dernière salve géniale. Il faudrait retomber maintenant, on n’a en a que très envie. Prosthuman permet la fuite, offre un refuge sécure pour celui qui, audacieux, aime à prendre le contrepied du normal. Michael Drummer, porteur d’idées en nombre, et ses acolytes (d’un album?) signent un LP qu’il sera difficile, dans le genre, d’égaler. Et qui incite à aller visiter ses ouvrages antérieurs, de même que la panoplie Bureau B. Excellentissime.