A l’aube de la parution d’un EP inaugural où rodent les sons d’un GVSB, d’un Shellac ou d’un Shipping News filtrés au tamis Cabale, ses membres répondent aux questions de Muzzart…
1) Tout d’abord, comment se porte Greed Recordings ? N’ayant plus de news depuis des lustres, et ces envois promo prenants, j’ai cru à la « mort » du label…
Michel : Salut Will, oui, il y a eu pause, après plusieurs années d’activité intense. Il fallait se recentrer sur la musique un peu, reprendre des forces, et puis vivre aussi! Pendant ces quelques années de discrétion, il y a eu de la composition et de la préparation en sous-marin et les projets commencent à sortir les uns après les autres ( Maps of Jupiter, Desmond Korma, Cabale). Et puis, entre temps le paysage musical des labels a bien changé, beaucoup de structures ont disparu, d’autres se sont accrochées et c’est respectable. On était juste en « hiatus »! Et maintenant, c’est surtout revenir pour le plaisir des beaux projets qui aboutissent, avec une approche plus détendue, plus organique.
2) Y’a-t-il d’ailleurs une « éthique » ou un genre musical particulier à développer pour intégrer Greed Recordings ?
Michel : Pas du tout. L’éthique consiste surtout à continuer, même si le rythme est plus lent. « Labour of love ». Les trois projets qui sortent chez nous en ce moment sont très différents. Maps of Jupiter (nouvel album en préparation), c’est très électropop expérimentale avec toujours une touche d’étrangeté à la Notwist, Desmond Korma est tourné vers l’indie pop/folk proche de Villagers, Silver Jews ou Lou Barlow. Et Cabale, donc, c’est le vaisseau-mère, un power trio dans une veine Slint / Shellac / Blonde Redhead / Girls against Boys. La sortie de ce long EP (27 minutes, c’est quasiment un mini album!) est une définition de l’éthique dont tu parles : s’accrocher pour faire aboutir ce en quoi on croit, malgré les obstacles. Après tout Greed, c’est la cupidité. Mais dans un sens positif, ce serait synonyme de ‘l’envie d’avoir envie ».
3) Qu’est-ce qui vous permet de durer ? De quel type de labels hexagonal vous sentiriez-vous proches dans l’esprit comme en termes de catalogue ?
Michel : Le fait que ce soit avant tout une aventure personnelle avec bien peu de délégation de tâches! Des super labels français, il en reste plein. We are Unique Records, Another Record, Kythibong, A Tant Rêver du Roi, Kerviniou, Prohibited, Vicious Circle, Talitres et j’en passe. Il y a en France, par ailleurs, toute une économie parallèle de labels beaucoup plus confidentiels et encore plus affirmés dans leurs choix artistiques. Pour être en lien quasi permanent avec ces passionné(e)s, la période actuelle n’aide pas à vendre des beaux disques à la fin des concerts. Il faut que ce désir de « durer » soit bien ancré!
4) Vous comptez une dizaine de références, quels sont les rapports avec elles et quels sont les apports mutuels? J’imagine, vu l’esprit du label, une certaine forme de proximité humaine et artistique…
Michel : Il y a eu plusieurs époques avec de très belles rencontres, des histoires un peu dingues comme ma rencontre avec le groupe belge GUERNICA, des personnalités fantasques et des prestations live carrément débridées. Ou l’ouverture vers l’Italie avec ACTION DEAD MOUSE: des gens humbles, passionnés. L’engouement autour du premier album de CORNFLAKES HEROES, c’était pré-réseaux sociaux et pourtant j’en entendais parler ici et là, c’était excitant! Ou encore les évidences comme la sortie du bel album de GENERAL BYE BYE avec là encore des musiciens très forts, de belles prestations scéniques et des millions de mails échangés pour préparer chaque sortie, des rencontres parfois décalées et étonnantes avec des gens très différents, tous et toutes animé(e) d’un truc intérieur assez costaud et singulier. Une histoire de coups de coeur.
5) Quel serait à l’heure actuelle le « fleuron » du label ? Le groupe le plus représentatif, dirai-je…
Michel : L’actualité c’est CABALE, clairement. Le groupe attend le retour d’une vie normale pour jouer les morceaux live et préparer la suite qui va monter en pression. MAPS OF JUPITER aussi, parce que c’est un projet vraiment protéiforme qui me plait beaucoup et qui est destiné à se développer rapidement et dans la durée aussi.
6) Cabale est d’ailleurs, si je ne me trompe, le dernier arrivé , tout au moins en termes de sorties, chez Greed. Comment le groupe s’est-il formé ? Vous aviez tous les 3 un parcours déjà fourni, Cabale prend t-il désormais le pas sur vos projets antérieurs ?
Arthur : Cabale est né à la suite de l’arrêt du groupe Moonman & The Unlikely Orchestra, sur la volonté de Michel et moi-même de continuer à jouer et composer ensemble. Nous avons donc cherché un bassiste car la formule power trio était vraiment celle qui nous convenait. Rabih est arrivé et le feeling est tout de suite passé ! Les compos ont germé en très peu de temps, chacun amenant des idées, des riffs, des couleurs. C’est vraiment d’un travail collectif qu’ont découlé ces morceaux. Cependant, Cabale n’est pas notre seul projet musical. Chacun des membre est actif sur plusieurs choses à la fois (Mondo Cane pour Rabih, Maps of Jupiter et Desmond Korma pour Michel et Paria Binghi pour Arthur) et Cabale est un projet à part entière mais pas le seul.
Michel : Et quelque part, le fait que quand on se voit, il faille être « efficace » fait qu’on ressort toujours d’une session avec de nouvelles « belles pièces » qui ne tardent pas à s’imbriquer pour donner des morceaux à tiroirs comme « Mean Men« . Composer de façon éclatée et un peu chaotique, mais organisée et archivée, nous permet d’aboutir à un résultat singulier, je trouve. A la fois dans l’urgence et dans la précision. On retrouve beaucoup çà sur le disque, avec un peu de recul. Sans parler de la chance et du confort de jouer avec les mêmes musiciens depuis longtemps, la mise en place est quasiment immédiate sur les nouveautés. Pour ma part, j’aimerais beaucoup que CABALE prenne le pas sur le reste des projets!
7) Que vous apporte Cabale, individuellement et collectivement ?
Arthur : J’ai un passé rock, j’ai débuté avec ça ; Les reprises de Nirvana, de RATM, de Hendrix, des Red Hot, etc c’est mon adn musical. Avec les années, j’ai bifurqué vers d’autres styles comme le rap, le reggae, les musiques électroniques… Cabale me permet de revenir au gros son, à la frappe forte, c’est comme un exutoire. Et puis humainement, on vient de milieux, de cultures et aussi d’univers musicaux variés et c’est enrichissant ! Il y a bien sûr un socle commun assez dense mais pas que et c’est ça qui fait l’émulation, je pense. Le plaisir de découvrir à travers les autres, d’être surpris par un riff, une façon de placer un groove, une ligne de basse, etc. On a réussi à trouver un équilibre, parfois dans la douleur, qui nous permet de pondre des titres qui nous plaisent à 100% et que l’on a envie de défendre !
Rabih : J’ai rencontré Cabale durant une période assez particulière et difficile dans ma vie, qu’on peut retrouver dans un projet- tellement solo qu’il pouvait me rendre agoraphobe- (Murmuration) que je composais à cette époque. Le niveau, la discipline et la rigueur de super musiciens comme Arthur et Michel m’ont tiré de ma confortable mélancolie et m’ont appris à me dépasser.
Michel : De la fierté! Ce n’est pas rien de faire fonctionner ce genre de groupes, je trouve. C’est une machine bien huilée, avec encore de gros morceaux déjà prêts pour la suite qu’il me tarde déjà d’enregistrer. C’est également le seul de mes projets qui soit intentionnellement tourné vers et pensé pour le live.
8) Le premier EP du groupe, éponyme, sort en cette fin février. Il a semble t-il été enfanté sur le long terme. Pourquoi avoir autant « pris le temps » ? Désir de peaufiner, impératifs calendaires… ?
Arthur : La production de l’EP à été il est vrai assez longue, pour plusieurs raisons. D’abord le fait que les emplois du temps de chacun des membres aient été bien remplis ces derniers temps (on parle d’avant le covid…). Chacun étant actif sur ses autres projets, sur son activité pro aussi a fait que la mobilisation commune était difficile. L’éloignement géographique des musiciens n’a pas aidé non plus, notamment pour l’enregistrement de pistes additionnelles (voix, deuxièmes guitares, etc) même si le gros de ce que vous entendez à été enregistré tous les 3 ensemble; guitare/ basse/ batterie dans la même petite pièce.
9) Qu’avez-vous ressenti à l’écoute du produit final ? Etes-vous de ceux qui, une fois leurs disques parus, osent à peine y jeter une oreille ?
Arthur : C’est moi qui ai enregistré et mixé le disque. J’ai donc eu la tête dedans pendant pas mal de temps. J’ai depuis amélioré mes connaissances et mes techniques je pense et du coup, je ne peux m’empêcher d’être critique sur mon travail de sondier, d’entendre les défauts, de regretter certains choix ou contraintes etc. C’est le lot commun de tous les musiciens et techniciens. Je ne referais pas cela de la même manière aujourd’hui. Cela ne m’empêche pas de réécouter les morceaux avec plaisir car je suis content des compos et heureux de pouvoir les présenter au plus grand nombre !
Rabih : Comme pour tout projet dans lequel je suis impliqué, j’ai du mal à avoir du recul. Je peux cependant affirmer qu’entre les compos et le mix, il y a de quoi être fiers de cet EP. On y a mis du cœur et j’espère que ça s’entend.
Michel : Il m’arrive de réécouter les disques parus, avec leurs bonnes et moins bonnes surprises! Sur ce projet, le mix a été une opération tellement dantesque et éclatée dans le temps (je ne parle même pas de l’écoute des morceaux liée au montage video!) qu’il n’y pas eu de « révélation » à la fin d’une semaine de mix par exemple. Ca s’est passé par petites et grandes touches. Je ressens surtout une satisfaction à aboutir et à se dire que c’est la fin d’un processus et donc le début de la suite, qu’il faudra imaginer plus « compacte » au niveau de la production!
10) A l’écoute de l’ep, j’entends certaines influences, perceptibles certes mais jamais trop présentes (Shellac, Blonde Redhead etc.). Pensez-vous détenir, avec Cabale, une identité propre ?
Arthur : Comme je le disais, les influences des membres du groupe sont vraiment très variées même s’il existe un socle commun. Par exemple, je n’ai jamais vraiment écouté Sonic Youth (ahhh shame on me) alors que c’est le groupe préféré de Michel. Du coup, quand il pond un riff avec cette influence, je ne vais pas forcément proposer un groove de batterie qui serait dans la veine de ce groupe. C’est un gage aussi d’originalité, entre guillemets. En tout cas c’est la garantie d’éviter le copié/collé, ce qui est déjà pas mal en 2021 quand on fait du rock !
Michel : Absolument. Je plaide coupable pour les influences que tu cites! Le genre d’ambiance, à la fois accessible soniquement, mais radicale dans l’esprit et avec une notion de mystère dans les arpèges, c’est ma culture musicale personnelle. Musicalement, on s’y retrouve entre moi et Arthur autour d’une dynamique bien connue et pêchue comme le « Evil Empire » de RATM, qui est ce vers quoi j’aimerais tendre ( le riff qui colle à chaque coup de caisse claire) en termes de production. Avec Rabih, on a une culture musicale 90’s en commun avec notamment un faible pour l’artillerie lourde comme Girls Against Boys ou Queens of the Stone Age. On peut parler « influences » ou « culture musicale » pendant des heures, mais oui, paradoxalement, ce sont bien nos différences et chemins de traverse qui donnent la mixture finale et garantissent une approche personnelle et, espérons-le, peut-être « indentifiable »!