Chez Tête Froide Records à Amiens, ville où pullulent les groupes à suivre, on ne s’enflamme pas. Elle était facile mais pour initier mon article, je ne pouvais mieux décrire l’état d’esprit qui anime les humbles, passionnés, inlassables créateurs du label amienois. Celui-ci, après avoir tourné au rythme d’un track par mois, en arrive à sa première compil’ et le moins que l’on puisse dire, c’est que cette dernière reflète parfaitement l’éthique de la structure: garage, psyché, cold et pop y voisinent sur six titres alléchants avec pour trait commun, la qualité et des traits indés si bien définis, et assumés, qu’on n’a plus besoin de les surligner. Alors on y va, je les connais les gaillards: certains sont taiseux, d’autres un brin plus loquaces. Des gars attachants, en route vers un mode adulte qu’ils ne semblent pas pressés d’aller percuter, jeunes et doués qu’ils sont. Ils opèrent dans la discrétion mais à l’arrivée, ils épatent leur monde. Sans esbrouffe, sans faux-semblants, sans se prendre pour ce qu’ils n’ont jamais voulu être. Ce recueil, où éclosent des fleurettes aux couleurs hivernales, automnales ou un brin plus printanières parfois, se voulant le brillant reflet d’une musique cold mais loin de s’y restreindre, magnétique pour qui aime les tendances précitées.
C’est Pierre et le Lou -j’aime ces deux gaillards, deux frères dont le talent n’a d’égal que la parcimonie des mots sur scène-, qui ouvre le show. Fou. Assurément, oui, il est « ‘ouf » ce titre. Sa basse m’habite (pardon…), son groove façon Motorama aux vocaux légers et aériens m’attrape le teston. Je garde la Tête Froide, il en reste cinq après celui-ci. Il ne s’agit pas de sombrer, ni de s’enflammer. Mais tout de même, dans ce minimalisme de gris aux trames immuables, Pierre et le Lou présente de beaux atouts. Je ne suis guère étonné, les ayant vus à l’oeuvre plusieurs fois déjà. (Making of Pierre et le Lou « Fou »)
Je ne le suis pas plus quand Le Sacre, à l’univers hypnotique décliné de manière génialement monocorde, dévoile La violoniste. Un Suicide sous produit, lascif et descriptif, que des sons obsédants décorent. Il s’en dégage des airs psychés, éthérés, qui feraient se clore les paumières sous l’effet du plaisir auditif. Lui aussi, c’est un actif de l’ombre (clin d’oeil involontaire à Chat et ses Ombres, dont il fait également partie), qui dans son coin nous concocte des ritournelles déviantes et imaginatives. Voilà donc l’une d’entre elles, somptueuse vignette aux pouvoirs indéniables. (Making of Le Sacre « La violoniste »)
On est là dans le valeureux, et voilà qu’une touche de féminisme survient quand The Exbats, louchée de mélopées 60’s et choeurs sucrés dans les fouilles, nous fait don d’un Funny Honey aussi clair que pétillant. Originaire de la frontière mexicaine (Bisbee, en Arizona), formé par une fille, Inez, et son père Kenny, voilà un groupe aux airs de trouvaille dénichée au bout du monde et à partager avec tout le monde (Vidéo The Exbats « Funny honey ») à l’instar de Joni Île, auteure compositrice de pop indé dont vient le tour avec un délicat Goodbye Venus. C’est d’eul’tarte à l’badré, dirait le picardisant; ça fond en bouche, ça se déguste jusqu’à la dernière miette. On perçoit, dans le chant joliment doublé par son frère, la douceur de la Dame. L’étayage est sobre, beau, ajusté et gentiment animé.
Dans une délicieuse somnolence, bercé par de charmantes rengaines, l’auditeur croise ensuite la paisible route de Chiens de Faïence, limousins ayant atterri à Paris et sélectionnés pour nous gratifier, sur l’avant-dernier morceau de la compil’, d’un There is a place folk dont les voix unies font merveille. Une chansonnette lo-fi de toute beauté, sans surplus, aux pouvoirs similaires à l’effort du Sacre dans le sens où on se laisserait aisément, et sans rechigner, porter et dorloter par ses jolis atours. Notons que Chiens de Faïence, tout comme la plupart de ses compagnons de compil’ avec leurs parutions respectives, s’est par ailleurs fendu d’un excellent Fail & Foil en septembre dernier.
Ceci étant dit, le dernier ébahissement nous vient de My sunshine home avec писатель (Pisatel’), dans une pop à l’esquisse psyché subtile, sertie de notes bellessimes et d’un chant sensible. Je reconnais là Charles Schreiber, un « énième attachant », qui s’essaye avec bonheur à l’effort solo. Un morceau étoilé, au sujet duquel, bien évidemment, aucune info ne m’était jusqu’alors parvenue. C’est bien connu: chez Tête Froide, on bosse « dans un coin du grenier », dans le retrait, en quasi-autistes doués et dans l’entre-soi de la passion. La méthode a du bon, elle débouche ici sur une première sortie collective fiable et de bon augure quant la suite des actions estampillées Tête Froide.
Soundcloud Tête Froide Records / Page Pierre et le Lou / Bandcamp Le Sacre / Bandcamp The Exbats /Bandcamp Joni Ile / Bandcamp Chiens de Faïence / Page My Sunshine Home