Après la sortie, en novembre 2020, de son Lignes Futures, d’une électro où perdure de façon parcimonieuse l’esprit rock qui animait ses formations antérieures, Brazzier répond aux questions de Muzzart….
1) Ton parcours est conséquent : d’abord Frigo, puis You Vicious et maintenant Brazzier ; as-tu ce besoin irrépressible de changer de registre, de te renouveler ?
Je ne change jamais totalement de registre, car on me rappelle souvent qu’on reconnaît une certaine « patte » dans chacun de mes projets. Et surtout, ce n’est pas vraiment calculé. Au moment où nous sortions le premier album de You, Vicious!, j’ai composé un soir un premier titre électronique sur lequel j’ai écrit un texte en Français. Sans guitares, sans vraie batterie, je l’aimais bien tel quel. J’en ai composé ensuite plusieurs, dans cette ambiance, et ça ne correspondait pas avec You, Vicious ! qui joue davantage sur l’énergie, les guitares, les batteries qui envoient. J’ai donc décidé de le sortir en solo sous le nom de Brazzier.
J’avais déjà écrit quelques textes en Français dans Frigo et j’avais un peu regretté après coup. J’aurais dû le faire en side-project, puisqu’au final, ça mélangeait trop de « registres » dans un seul et même groupe.
Donc à présent, j’essaie de développer une esthétique, un univers par projet. Et oui, on peut dire que c’est un besoin d’essayer à chaque fois de se renouveler, d’apporter de nouvelles idées.
2) Il est d’ailleurs amusant de constater qu’après la froideur (Frigo) et le vice (You Vicious), tu t’attelles à un projet plus… »chaleureux »non (Brazzier) ? D’où vient-il, ce nom, et quelle signification porte t-il ?
Je souhaitais un nom qui colle bien à la musique, quelque chose qui évoque cette couleur noire, sombre, obscure et très brillante à la fois. Mais je voulais aussi amener de la chaleur avec un côté volcanique, incendiaire. L’idée que ça puisse exploser. Je trouvais que ça collait bien à l’ensemble des textes que j’ai écrits pour cet album-là.
Par ailleurs, c’est vrai que j’ai joué dans Frigo pendant 10 ans, et c’était un petit clin d’œil aussi. Frigo, Brazzier, c’est jouer carrément à l’opposé. J’ai placé deux « z » car je n’aime pas forcément les choses trop évidentes et ça permet d’identifier un peu plus facilement le projet.
3) Tu œuvres désormais en solo : quelles différences existe t-il, selon toi, avec la formule groupale ?
Dans les textes de Brazzier, j’expose mes états d’âme, mes désillusions, mes espoirs aussi. C’est un travail assez introspectif, assez personnel. Dans ce contexte-là, j’ai préféré rester en solo, construire un univers qui m’était propre, sans vouloir forcément impliquer d’autres personnes car les histoires que je raconte sont forcément un peu autobiographiques.
En groupe, c’est plus basé sur l’échange, le partage, sur l’énergie du collectif, sur le côté jouissif d’envoyer le boulet à portée de main
J’aime les deux 🙂
4) Quelles sont les « sources » de tes textes ? Il est évident, à l’écoute, que tu accordes une large place au verbal sans verbiage…
Alors je ne peux pas vraiment parler de sources, je n’écoute pas beaucoup d’artistes ou groupes qui chantent en français: le temps me manque pour lire beaucoup et m’imprégner d’une certaine culture littéraire. Quand j’écris, je n’ai pas de volonté particulière à part celle de coucher sur papier ce qui me trotte dans la tête. J’ai vraiment plaisir à écrire en français, il y a un côté un peu mathématique à faire sonner les mots entre eux, à trouver une certaine justesse dans le propos, à raconter des histoires dans un format court. Et puis, ça prend un peu plus le pas sur la musique, il faut être plus attentif au message que tu envoies.
5) Pourquoi ce choix d’un univers entièrement électro (ou presque), quand bien même le style transparaissait déjà dans tes projets antérieurs ?
Dans mes précédents projets, j’apportais énormément de soin à l’électronique qui était vite coulée dans le mix avec des guitares, batteries, etc. Là, je voulais qu’on puisse entendre chaque détail. Et je souhaitais aussi poser une ambiance et avoir une cohérence tout au long de l’album.
Je trouve aussi que pour chanter des textes en français, dans une tessiture assez grave, l’électro s’y prête très bien; on peut poser la voix, on n’est pas obligé de partir dans les tours quand ça s’emballe comme parfois dans le rock
6) Ton album Lignes futures vient de sortir, conçu en mode DIY total. Esprit revendiqué ou contrainte due à la conjoncture ?
Ces vingt dernières années, j’ai sorti plusieurs albums, sur des gros labels (Wagram), des plus petits (Manic Depression, Big Trip, …) et en autoproduction. Parfois, il fallait attendre plus d’un an entre le moment où l’album était fini et sa sortie (pour des histoires de subs, de plannings de sorties etc.). Là, j’ai contacté 3 ou 4 labels pendant le premier confinement et aucun ne pouvait me donner de perspective avant 1 à 2 ans. J’ai alors décidé de le sortir moi-même. Et puis c’est devenu une évidence de faire tout tout seul sur ce projet. J’ai tout enregistré chez moi : les chants, les synthés, les boite à rythmes, etc.
Une fois l’album terminé, j’ai donné les différentes pistes à Sébastien Lorho, pour qu’il assure le mix et le mastering. Ça permet aussi d’avoir pour la touche finale une oreille un peu différente sur ma musique. La promo aussi, je l’effectue seul.
Bien sûr , j’ai fait appel à des ami.e.s dont j’apprécie le taf pour les visuels, clips, photos, etc.…
7) Cette appellation, Lignes futures, insinue t-elle une direction musicale encore évolutive ? Si ce n’est pas le cas, à quoi renvoie t-elle ?
Déjà sur cet album, il est beaucoup question de lignes (sur « L’instinct » : ‘quand la ligne d’horizon devient ligne de mire’ ), de chemins, de mouvements . Je voulais aussi donner à l’album un titre positif, ouvert, tourné vers l’avenir. j’ai choisi d’écrire uniquement de la musique électronique pour ce premier opus. Mais je pense que cela peut évoluer dans le temps, oui. Clairement pas vers du rock à guitare, mais peut-être vers quelque chose de plus doux, feutré. Tout cela reste encore à définir !
8) Comment te sens-tu, maintenant que Lignes futures est sorti ? Il semblerait par ailleurs qu’un certain nombre d’exemplaires aient d’ores et déjà été vendus 🙂
Je me sens bien 🙂 L’accueil est plutôt cool, je ne m’attendais pas à avoir autant de retours critiques positifs alors que c’est l’album le plus sombre et probablement le plus déroutant que j’ai sorti, le plus personnel aussi et c’est peut-être ça qui touche. Je l’ai sorti via ma structure « Binaire ordinaire », en petite quantité, et tous les vinyles sont partis.
Le plus fun là, c’est que 2 labels (Ideal Crash et French Wine Records) le sortent en format K7: l’artwork est magnifique et je suis super content de tout ce qui se passe autour de ce projet
9) Que t’apporte la musique ? Qu’attends-tu du projet Brazzier ?
La musique m’apporte énormément. Elle me permet d’exprimer tout un tas de sentiments parfois ambivalents, elle me permet de voyager, de m’échapper lors des séances d’écriture et de compositions. Elle m’amène aussi à rencontrer de chouettes personnes qui proposent de s’impliquer dans le projet en proposant des clips, des photos, des dessins, des formats K7…
Sinon, je ne « calcule » par grand-chose en général. Quand je reprends les compositions en fait, je ne sais jamais où je vais. En fonction de ce que je vais composer, soit ça partira côté Brazzier, soit ça partira côté You, Vicious!, selon la direction, la nature du morceau, des textes, etc. On est peut-être dans l’idée de remettre le couvert avec You, Vicious!, d’essayer de composer des choses un peu plus rock, moins mid-tempo. J’aime bien l’idée d’alterner un peu les deux, j’aime bien aussi aller sur scène et puis participer à un projet un peu plus de groupe on va dire. Qui joue sur l’énergie et se montre un peu plus rock et noise.
Mais à côté de ça, Brazzier, j’aimerais quand même poursuivre. Je n’ai pas écrit tout ce que j’avais envie d’écrire et je pense qu’une suite pourrait s’imposer aussi. Et qui sait, je reste ouvert à d’autres projets , sans être forcément « lead ». Une longue pause aussi pourrait faire du bien 🙂 En ce moment, je n’écris rien, je me laisse porter, mais j’ai assez hâte de m’y recoller.
10) Que répondrais-tu à ceux, à mon sens (trop) nombreux, qui ne cessent de prétendre que « le français passe mal » dans la sphère musicale et notamment dans le rock ?
Ils ont complètement raison ahahah !
Plus sérieusement, je n’écoute pas grand-chose en français, et encore moins en rock français. Précisément, si j’ai fait le choix d’un disque chanté en français sur de la musique électro, c’est pour pouvoir poser ma voix et proposer quelque chose d’assez linéaire, hors du registre rock. En tout cas, je reste toujours super admiratif de titres bien écrits, bien ficelés en Français et j’entends parfois des artistes très modernes et originaux, qui laissent à penser qu’on peut vraiment proposer de super choses en français sans resservir une certaine soupe populaire 🙂
Photos: Christophe Simonato. Photo live: Amalia Tanguy.