Projet de l’artiste visuel Joël Hubaut et de son fils Emmanuel (Les Tétines Noires, LTNO, Dead Sexy, EHB…), Pest Modern sort son premier album, ce Rock’n’Roll Station dingue et passionnant, chez Cleopatra Records et Meidosem Records. L’opus a pour base le très culte «Rock’n’Roll Station», fruit de l’improbable rencontre musicale entre Jac Berrocal et Vince Taylor dans les années 70. Bien vite, il prend la tangente et Rabbits on the Moon, hallucinante ouverture aux airs cabaresques enfumés et enfiévrés, préfigure d’un contenu n’ayant rien à voir, de près comme de loin, avec toute attitude rangée. Le chant, déjà, perd la raison. Si la trame instrumentale reste bridée, Bouche and bouche la laisse ensuite fuser et juter une sorte de rockab’ taré, teinté d’électro et de pointes surf. De partout émanent des sons cinglés, en phase avec la folie des textes. Cris, susurrations, voix rauque; le panel est ouvert, le rendu sans chaines. L’éponyme Pest modern, tout aussi allumé, par conséquent tout autant captivant, suit le même procédé bien dessoudé. La symbiose entre père et fils, au gré de textures ayant chopé la « pest », est évidente. Musicalement et comme à l’habitude avec Emmanuel, le rendu est de taille. Celle d’un penchant à la démence hautement créative, qui se solde par un disque irréprochable en termes de qualité.
CKKE Epidemik, où Carolin Poppenberg féminise le chant de manière mutine, sert des mots glauques, flirte avec le blues, prend des airs à la Cramps. Il ne s’agit toujours pas, en l’occurrence, de céder du terrain à la norme. Rock’n’roll station, chuchoté dans un premier temps, traversé par des bruits dérangés, d’une ambiance lancinante, voit ses voix délirer. Pest Modern étend le champ de ses atmosphères, perpétuellement viciées. Carolin revient de manière percutante pour Les insectes, où la lampe est une anguille et la langue une grosse bombe. Une fois de plus les chants s’entremêlent, au service d’un morceau frappadingue. Ligne Barbar enchaine, met du surf dans son déroulé et du Carolin, derechef, dans sa trame façon Poison Ivy, et consorts, hors de contrôle. De titres fulgurants à d’autres plus insidieux, Rock’n’Roll Station se hisse sur les plus hautes marches et fait la différence par sa folie ajustée, entièrement dédiée à la portée de l’album. Ca va couiner, avec Nicolas Germain (el TiGeR CoMiCs GroUP) à la guitare, râle et se déploie lentement, comme pour laisser place à un verbe qui, ici encore, dévie sévère.
Des scories à la Suicide, par ailleurs, s’échappent de l’ensemble. A l’issue, c’est le trituré et bien trop court Fractal Wurst Rock qui se fait entendre. Nul besoin d’épiloguer, chez les Hubaut on fait du beau avec du sale reluisant et le disque ici honoré illustre l’approche dans l’excellence. Notons qu’il s’accompagne, sur sa bien belle version vinyle, d’un coupon de téléchargement avec, à la clé, douze remixes par tout un régiment d’artistes hors-cadre. Le plaisir n’en est que plus vif encore; avant la fabuleuse et indispensable intégrale des Tétines Noires, nous avons là de quoi repaitre notre faim de sons et d’arrangements éloignés des sentiers habituels, concoctés par des artistes dont la vision décalée fait un bien fou à la scène d’en France.
Bandcamp Emmanuel Hubaut / Site Cleopatra Records / Site Meidosem Records