Formé en 2019 au sein de la scène indépendante de Glasgow, foisonnante, Nightshift pratique un post-punk mélodieux mais qui peut se tordre, sombrer dans de délicieuses ambiances agitées qu’une clarinette de marque vient décorer (Make kin), alors que le chant féminin narre de manière imprégnante, sur ce second album formidable qu’est Zöe (un premier jet éponyme étant sorti sur CUSP Recordings début 2020). Eothen Stearn – Voice, Keyboards; Georgia Harris – Voice, Guitar, Clarinet, Bottles; David Campbell – Guitar; Chris White – Drums, Voice et Andrew Doig – Bass, Voice, dans un bel ensemble m’évoquant parfois un The XX pour les penchants lancinants ou encore Young Marble Giants pour le minimalisme complètement « emprisonnant, voire magnétique, réalisent des merveilles. Enregistré à distance, Zöe est pourtant d’une cohérence absolue, influencé entre autres par The Posthuman de Rosi Bradiotti. Il illustre la prise de conscience du pouvoir du monde et de son propre pouvoir, de la parenté, de l’amitié, de la résistance et des possibilités offertes. Si Piece Together, en amorce, se veut lancinant, paisible et déjà prenant, Spray Paint The Bridge, dans la foulée, se fait plus tarabiscoté. Plus vivace aussi, plus complexe sans, pour autant, perdre son auditoire.
Au contraire, l’accroche se renforce. Nightshift dévie légèrement, abreuve de sons bien trouvés, d’atmosphères magnifiquement tranquilles qu’un chant une fois de plus remarquable souligne (Outta Space et ses airs trip-hop), de pair avec cette clarinette décidément en vue. Vient alors le Make Kin fougueux cité plus haut, sur lequel les vocaux flirtent avec les susurrations d’une Kim Gordon dans ses temps les plus posés. A chaque morceau, l’attirance est irrémédiable. On s’éprend. Fences, cold et délié, resserre l’étau de la séduction musicale. Moi qui, habituellement, aspire à de l’énergie débridée, à des aspérités et pointes noisy récurrentes, je capitule; Zoë, de par son équilibre entre rêveries et vigueur plus marquée, est un disque bluffant…et pas forcément prévisible dans le sens où il se plait à emprunter, ça et là, des chemins détournés. Le champ est large, le quintette s’amuse à en creuser les sillons sans rien s’interdire.
Ainsi Power Cut, sur sept minutes où psychédélisme, bribes kraut, post-punk et volutes vocales envoûtantes se tirent la bourre, tourne t-il le dos à la norme. Nightshift, à nouveau, s’attire les faveurs en projetant des climats singuliers, bien à lui, qui créditent fortement son Zöe. Sur la chanson en question, la clarinette se fait bruitiste, ouvrant la porte à une embardée superbement sauvage. Infinity Winner, insidieux, laisse ses voix s’unir et là aussi, le résultat brille de mille feux. Des sons malins s’y insèrent, l’étayent et le font reluire. Romantic Mud lui emboite le pas en saccadant de façon obsessionnelle, remuant dans sa finesse et doté de sonorités vrillées. Un délice, derechef, que cette composition que le terme post-punk ne peut, loin de là, suffire à définir. L’éponyme Zöe, céleste mais animé, barré dans un songe éthéré, fait mouche à son tour.
Les dès sont jetés, Nightshift nous fait don d’un album réussi en tous points, soucieux de ne pas verser dans l’attendu mais aussi d’éviter, s’il se montrait par trop tortueux, de s’oublier. Receipts, en conclusion d’une dizaine de morceaux captivants, se chargeant d’en assurer l’issue suivant une subtilité « maison », ténue, qui attire l’oreille là où d’autres auraient généré le décrochage. Affublé d’une pochette qui elle aussi attrape le regard, de thèmes dignes d’intérêt et de réalisations, donc, passionnantes, Zöe permet à ses créateurs de franchir un cap. Marquée par une signature chez Trouble in Mind Records, label Chicagoan de référence, l’évolution du groupe laisse augurer, au vu de la qualité de l’effort décrit ici, d’une reconnaissance qui ne serait, somme toute, que pure logique.
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