Né d’une improvisation « d’entre confinements » entre les deuxième et troisième nommés, Woke unit ODDATEEE (Voix et textes), PINK ROOM (Flute, bruit improvisé & synthesizeurs), et GROSSO GADGETTO (Improvisation et sculpture modulaire, Orchestration et mix). Vu le pedigree des trois hommes, on est en droit de s’attendre à un rendu décalé, expérimental et plutôt bruitiste, de nature à chambouler nos certitudes. Sagana Qsuale, artiste canadien, dessinateur et illustrateur, en a réalisé l’artwork et Birth, à l’issue d’une amorce jazzy noircie, développe de manière lancinante, angoissante, une trame qu’on pourrait rapprocher du rapgaze. Basée sur la répétition de ses motifs, ce qui lui confère des airs indus, celle-ci a des effets psychotropes, se fait nébuleuse et grince de toutes parts. Entièrement instrumental, le morceau ne donne qu’un modeste aperçu, marquant, de ce à quoi peuvent s’adonner les intervenants. Quant le chant s’en mêle, et c’est le cas sur 13 où ODDATEEE scande pesamment sur un fond sonore noise-rap, le trio touche à son extrême. En lien avec son épique époque, son EP broie du noir et s’adonne à un registre sinon nouveau, en tout cas encore peu investi. L’initiative est méritoire, Woke a par ailleurs des airs de reviens-y dès lors que l’auditoire, ayant pris la mesure du rendu et ce n’est pas forcément aisé, commence à réellement s’en imprégner.
Ainsi Once upon a hood, dans une brume shoegaze progressant au ralenti, comme s’il s’agissait d’écraser nos sens, exerce t-il une étrange attraction. Il faut dire que le flow, à nouveau massif et sans hâte, enclume lui aussi son homme. Là où, dans le hip-hop fusionné avec d’autres éléments musicaux, beaucoup déblatèrent à toute allure, ici Grosso Gadgetto, Pink Room & Oddateee font le choix de pièces opulentes. Ce n’est qu’avec Timeline, avant-dernier titre de ce Woke à dompter et à digérer, que le flux s’emporte. Bien vu, ça apporte autre chose et l’ornement, vrillé, fait de volutes qui éthèrent les esprits, génère lui aussi ses conséquences durables. Les gaillards n’ont pas perdu leur temps, loin s’en faut. Le confinement, synonyme pour beaucoup de naufrage moral et/ou professionnel, a visiblement décuplé leur inspiration, qui par ailleurs ne s’est jamais tarie.
Ils en extraient une forme de B.O. de l’ère en cours dont Final tape, bonus track semblable dans ses abords et son avancée à Birth qui amorçait l’ep, vient fermer la marche. Woke, sorti sur deux structures également « autres », à savoir Solium Records et Atypeek Music, est bien entendu à part. Exigeant, il demande avant de se livrer que l’on soit aguerri, rompu à ce type de déviance sonore. Immersif, sans lumière ni optimisme béat -on est trop lucide, ici, pour se laisser aller à faire le Casimir-, il illustre fidèlement une succession d’années de m++++, dont le résultat final balafre cinq titres durant l’hypocrisie ambiante et la douloureuse incertitude quotidienne.
Bandcamp Solium Records / Site Atypeek Music / Bandcamp Grosso Gadgetto / Bandcamp Oddateee / Bandcamp Pink Room