Né de la rencontre entre Armelle (Mils Mascaras, Heimat) et Nafi (AH Kraken, Bras Mort, Noir Boy George), The Dreams s’est fendu en 2011 de ce Morbido tout à la fois exotique, cold et bouillonnant, hypnotique, d’une teneur singulière et qui, au fil des écoutes, introduit la notion de dépendance. A des sonorités, des climats, à un univers pas toujours vert. Ni rose, donc quelque part en phase avec notre époque. Suivant des formats peu usités, la paire explore, avec bonheur, et s’enfonce dans les abimes d’un son bien à elle, qui groove autant qu’il angoisse et transcende. Sentiments mêlés donc, et puissants, voire indélébiles, accompagnent l’investigation de cette réédition par les indispensables Replica Nova. Peplum, en tête de peloton, impose un rythme d’obédience indus, des bribes sonores dépaysantes, des chants hantés. Sur le pan stylistique, je ne parviens pas à qualifier le résultat mais qu’importe: il fascine. Et démarque The Dreams, qui enchaine avec un Seis Seis Seis Condor hispanisant, truffé de sons célestes et acides, de chants qui dévient à l’envi. C’est prenant, à part et par conséquent, profitable. Aloha Miami, virevoltant, joue une forme de post-punk en phase avec la fin des 70’s, dansant et entrainant au possible, doté de scories dub droguées.
Le ton est libre, on l’aura compris. Sick Palm Dub insiste, justement, sur la portée dub encanaillée inhérente à ce Morbido époustouflant. Les voix s’y répondent, frappées et marquantes. The Dreams aime à varier les atours, sur Mein Schatz on renoue avec une trame cold alerte, dont fusent des sonorités obsédantes. Obsédant, voilà un terme applicable à Morbido, dont chacun des morceaux engendre une incoercible attraction. On n’y fait rien comme attendu, on invente, presque, un langage musical nouveau. Ce faisant on s’extrait de la meute des « normaux », de toute façon chargée et insipide. South African Youth Of Africa, aux effets certains sur l’état psychique, assombrit magnifiquement le panel traversé par Armelle et son acolyte. Le chant, ici aussi, lâche la rampe. Il a chopé, comme les milieux insidieux de Mordibo, la Malaria! Bettina confirmera…et approuvera.
Power of signs, passé la moitié des captivantes hostilités, convoque Siouxsie et Lydia Lunch. Vocalement, dans le genre, dans les textures sonores également. Une pluie de bruits sulfureux, en nappes flottantes, s’abat sur le titre en question. Fascinant, vous disais-je plus haut. Et je maintiens, je consolide même, ma vision de ce Morbido qu’il aurait été dommage de laisser dans l’oubli. Milk By Myself, d’un dub aux traits orientaux, me conforte d’ailleurs dans l’impression favorable qu’il m’inspire. L’opus, de plus, fait onduler les épaules. Armé d’une superbe pochette, son vinyl en jette. Pure Reagge fricote avec le reggae, mais dans l’étrangeté. Cela va de soi. Les deux protagonistes, en unissant leurs chants, font sensation. Aussi berlinois qu’insulaire ou africain, mais avant tout français, Morbido laisse des traces, et pas que sur sillon; il marque les esprits. Satan, lancinant, étale son ton froid jusqu’à nous en repaitre. Out Of Eyes, bien belle vague post-punk « et autres » aux voix et guitares remontées, se lance dans le dernier virage avec un foutu brio.
Enfin, Reagge 4 clôt Morbido en pervertissant le reggae/dub, un peu à la PIL. C’est réussi en tous points, on sait les ressorties Replica à la hauteur de nos attentes mais pour le coup celle-ci, après celle d’Ich Bin qu’il importe tout autant d’acquérir, me permet d’ « assainir » si je puis dire, par son côté malsain et inventif, délibérément à contre-courant, ce quotidien flou et anxiogène. Dans le même temps, elle satisfait au delà du souhaitable ma soif de sons autres et d’ambiances barrées, en plus de « sonner grave » quand on la place sur son lecteur.